La nostalgie (j'parle comme les vieux maintenant)

Je suis toujours un peu en retard, je suis celle qui envoie ses cartes de voeux à la mifa le 31 janvier sans aucune pression, parce qu'elle a juste pas penser à récupérer les adresses plus tôt. Un peu en retard pour 2015 aussi, parce que je percute souvent tout au dernier moment, mais bon, on va pas le cacher, c'est aussi que 2015 a été forte en émotion ici bas.

Le plus important avec 2015 porte le nom d'un héros troyen, sait porter le deuil quand il le faut et l'énergie furieuse le reste du temps, correspond à des hurlements et des fous rires dans nos appartements, commence par Pa- et finit par -ris. Quitter le nid familial, battre de mes propres ailes, vivre en coloc avec une soeur que j'adore autant que je déteste, se bouffer mille galères de train, de métro, se faire tout un nouveau groupe de potes chez qui on peut aller quand on veut, passer ses journées dans une école vitrée de tous les côtés et aussi lumineuse que mon ancien bahut était sombre et glauque. C'est aussi connaitre pour une fois le choc des attentats depuis une ville où on habite, et se réaliser que merde, la vie ne tient qu'à un fil au final. C'est aller trainer le dimanche matin au musée d'histoire naturelle et me sentir chez moi, c'est rentrer en Normandie, voir la mer, Perret partout, et me dire qu'en fait c'est ici aussi chez moi, me sentir tiraillée entre le Havre et la capitale et pourtant être à l'aise aux deux endroits, peut-être même plus ici. C'est, malheureusement, renier ma ville natale à cause d'un souvenir trop présent, et embrasser l'éventail des possibilités de m'en faire de nouveaux dans la ville lumière.

2015, c'est aussi Olivier de Serres ou l'ENS AAMA Paris comme on doit l'appeler aujourd'hui, c'est la chance improbable d'avoir été prise là, c'est le bonheur d'être dans une école d'arts appliqués, rêve que je poursuivais depuis maintenant trois ans, c'est la fierté de ma prof d'art pla du lycée, c'est mon meilleur pote à Belleville et ma meilleure pote à Lamartine, et notre incapacité à nous voir tous les trois en même temps tellement on croule sous le taf, mais les embrassades quand on y arrive, les câlins, les sourires. C'est tous les soirs que je passe chez ma voisine et camarade de classe, pour fumer des clopes, nous plaindre, et puis bien rigoler quand même. C'est les mecs que je mâte h24, c'est mon parrain que je trouve grave canon, c'est les soirées du BDE qui se finissent soit en état d'urgence, parce qu'ils ont rien trouvé de mieux comme date d'un vendredi 13 novembre, soit en léger coma dans le métro à 6h du matin. C'est un mec qui dit à mes potes "elle est canon mais elle a tout le temps l'air vénère", c'est tous les matins où j'arrive en faisant "oh bordel chui zaraf" et tout le monde qui se fout de ma gueule parce que ça veut rien dire, mais qu'on comprend quand même, c'est comment j'ai dit à une mère que "faut une grande chambre quand même parce que sinon rapidement c'est le zbeul", et à nouveau tout le monde qui se fout de la gueule de mes expressions, c'est l'éternelle bataille entre nos régions, et mon pote breton qui continue à penser que le Mont Saint Michel est à eux.

Ca a été aussi une belle histoire de merde, une amitié qui s'explose à cause de l'égoïsme de quelqu'un à qui je tenais, ça a été des retours en train en flippant de le croiser, et son meilleur pote qui a accepté de rester un amour avec moi, malgré tout ce que je lui ai foutu dans la gueule, ce que je me reproche énormément. C'est tous les liens qui se sont effilochés ou au contraire resserrés, c'est le moment où on se dit "j'ai plus le time pour les rageux !", c'est s'assumer entièrement, et décider de devenir qui on veut, se fringuer comme on veut, écouter ce qu'on veut, regarder ce qu'on veut, assumer sa superficialité autant que ses goûts, s'amuser, faire ce qu'on veut, se sentir enfin soi. C'est passer du metal au hiphop, des teeshirts de groupes à des débardeurs, c'est remettre mes lunettes et me sentir jolie avec, porter du rouge à lèvre bordeaux et me rendre compte que ceux que je trouvais rouge fifou avant me paraissent presque nude aujourd'hui, c'est mon papa qui me dit "elle est belle ma fille", et ce compliment qui restera le plus beau qu'on ai pu me faire.

Au final, ça reste avant tout une évolution, la transition entre ado irresponsable et ado responsable, ça reste l'incapacité à me considérer comme une adulte, c'est grandir quand même, faire les courses et aller en soirée, manger des pâtes pendant cinq jours de suite parce que j'ai plus d'argent à force de dépenser pour des conneries - le mieux resterait de dire que c'est la transition et le renouveau, et mon envie d'enfin devenir quelqu'un qui profite de ce que la vie lui a offert, une chance énorme, plutôt que de se replier sur ses pauvres histoires d'amour foireuses, puisque comme dit Georgio, "comment te dire sans faire trop d'commentaires que ton histoire est banale".