Fight Fire with Fire | Nuage des Flammes || 24/01 ||

La première fois qu’il ouvrit les yeux, c’était en hiver. Le camp avait revêtu son épais manteau blanc pour l’occasion. À l’extérieur de la pouponnière, des cristaux d’eau figée dégringolaient du ciel, s’accrochant au pelage des chats de Clans comme s’accrocherait un naufragé à sa bouée. Sous l’haleine glaciale de l’hiver, guerriers et apprentis vaquaient à leurs occupations. Les cris d’une reine en proie à la douleur avaient rapidement brisé le calme des lieux. Le guérisseur était arrivé à peine quelques minutes après que le travail ait commencé. Les reines avaient laissé la place au matou noir et blanc, murmurant quelques paroles rassurantes à leurs chatons apeurés.

Il n’avait pas été le premier à découvrir le monde extérieur. Ni le deuxième, en fait. Il fut le dernier né. La première à naitre fut Nuage des Cygnes, une magnifique boule de poils blanche tachetée de noir. Les yeux de la reine, Valse des Ombres, s’emplirent de larmes à la vue du rejeton que lui tendait le guérisseur. Sa première-née, sa fille, son ainée. La sœur de la nouvelle mère, Esprit des Terres, ne se fit pas obliger pour narguer son beau-frère, de l’autre côté de l’entrée de la pouponnière, en ventant sa beauté. Mais le boulot n’était pas terminé. C’est sous les encouragements du guérisseur que vint au monde sa deuxième fille. Cette fois, ce fut une petite chatonne au pelage sable tigré qui rejoignit le ventre rebondit de la douce reine. Celle-ci fut rapidement suivie par un plus petit chaton au flamboyant pelage roux. Après lui, et seulement après cette dernière naissance, Valse des Ombres put enfin souffler.


La reine, qui couvait avec amour sa portée, lui répondit d’un sourire fatigué.


À peine avait-elle prononcé ces quelques mots qu’une tornade bicolore fit éruption dans la pouponnière, poussant dans sa hâte Esprit des Terres. Cette dernière ne s’offusqua évidemment pas, sachant que ce moment était important pour les deux nouveaux parents. Elle rigola simplement, se promettant de taquiner sa sœur sur cette brusque entrée un peu plus tard, avant de s’éloigner et laisser les trois félidés seuls à seuls.

Le père s’approcha lentement du ventre de sa douce, humant la douce odeur de lait qui s’élevait déjà des trois petits. Un ronronnement monta dans sa gorge alors que ses yeux s’embuaient de fierté.


Un délicat rire secoua l’exténuée femelle.


Le guérisseur, qui avait profité de l’accalmie pour ramasser les plantes inutilisées et ausculter les nouveau-nées, se tourna vers le jeune couple.


Les deux félins remercièrent le guérisseur, puis prirent congé de lui. Il était désormais temps de donner un nom à leurs chatons. Ils devaient bien y réfléchir : ce nom allait leur coller à la peau toute leur vie.

Soleil des Plaines lécha tendrement l’oreille de sa compagne.



La féline contempla son dernier né d’un œil appréciateur, puis proposa :


Attendri, Soleil des Plaines sourit à sa partenaire de vie.



Rien n’aurait pu prédire ce qui allait arriver les semaines qui suivirent la naissance des trois chatons. Ni les parents ni le guérisseur. Oh, peut-être que son allure rondelette et ses grands yeux auraient dû leur mettre la puce à l’oreille. Mais ce ne fut pas le cas.


L’expression à la fois inquiète et désorientée du félin intrigua le guérisseur. Aux dernières nouvelles, la portée se portait bien : il y avait donc très peu de chances que le petit ait attrapé le mal blanc. D’ailleurs, le visage du guerrier ne laissait pas penser que la vie du petit était en danger. Il semblait plutôt... troublé.

Malgré tout, le matou prépara quelques herbes à chat et suivit le félidé jusqu’à la pouponnière. Il bouscula à coup d’épaule les quelques curieux qui s’étaient entassés devant l’entrée de la pouponnière, puis se dirigea directement vers la couche de Valse des Ombres.

Au début, il ne comprit pas le problème. Les trois chatons étaient pelotés les uns contre les autres sur le ventre de la reine, tétant joyeusement le lait maternel. Il questionna donc la mère du regard.


Le guérisseur s’approcha alors du rejeton coincé entre ses sœurs.


Et là, il les vit. Là où auraient dû se dresser deux petits triangles bien droits se trouvaient plutôt deux minuscules oreilles repliées vers l’avant(2). Plaquées contre son crâne ovale, le guérisseur s’avoua qu’il n’aurait pas pensé à s’arrêter à ce détail. Il lâcha les plantes, inutiles, qu’il avait emportées pour soigner le petit et se tourna vers les parents à la mine inquiète.


Les deux parents se regardèrent face à cette réponse rassurante, embarrassés par leur comportement.


Et pourtant.


Au pied des pattes de sa mère, réchauffée par le pelage duveteux de la reine, Boule des Flammes observait avec envie ses sœurs jouer avec les deux fils de Feuille Aquatique, la reine qui partageait la pouponnière avec eux. Ses grands yeux cuivrés étaient fixés sur les pelages entremêlés et ils suivaient chaque mouvement avec attention –à défaut de pouvoir prendre part à l’action. Il aurait tant voulu jouer avec eux ! Pourquoi donc ne le pouvait-il pas ?

Lorsqu’il s’était approché avec ses sœurs, les deux mâles l’avaient immédiatement ciblé. Il avait pourtant affiché son plus beau sourire –pourquoi avait-il été rejeté ? Il ne comprenait pas. L’un des deux chatons s’était moqué de lui –il l’avait traité de vieille chouette. L’autre avait rigolé –et ses sœurs, ses adorables grandes sœurs, n’avaient su comment réagir. Il avait essayé de leur expliqué que ces mots lui faisaient de la peine, oh il avait essayé ! Mais les moqueries avaient continué et il avait fini par se retirer, la queue frôlant le sol.

Sa mère l’avait recueilli, lui promettant de parler à Feuille Aquatique, lui promettant qu’il serait accepté. Et il y croyait.


Devant l’incompréhension qui luisait dans le regard de son fils, Valse des Ombres ne sut que répondre. Son cœur de mère se brisait à chaque fois qu’elle voyait son fils, son rayon de soleil, rejeté par ses pairs. Pourquoi ne pouvaient-ils pas l’accepter ? Elle-même ne comprenait pas. Boule des Flammes avait certes un corps aux rondeurs de chaton, un visage ovale et de petites oreilles refermées sur elles, il n’en demeurait pas moins un chaton comme les autres. Il ne désirait que jouer, s’amuser, rigoler ! Comme les autres.

Soupirant, sa mère se leva en étirant sa longue queue. Elle invita d’un mouvement souple et d’un sourire triste son fils à jouer avec elle.

Ni d’une ni de deux, le chaton à la fourrure enflammée se jeta sur sa mère en lançant un cri de guerre qui, au lieu de l’attendrir, l’attrista.


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(1) Par soucis de cohérence, je crois que c'est lui qui aurait mis au monde Nuage des Flammes, mais si ça dérange, je peux mettre un PNG.
(2)Les oreilles des chatons peuvent prendrequelques semaines (3-4) dans certains cas avant de se courber. Avant, ses oreilles sembleront normales.

La nouvelle apprentie bicolore toucha le museau de son mentor, anxieuse. La cérémonie se poursuivit.


Une fois que les deux félins se furent salués convenablement, le Clan se mit à scander les noms des nouvelles apprenties. Fière comme un paon, Valse des Ombres et Soleil des Plaines couvaient du regard leurs deux filles. Aux côtés du matou, une boule de poils rousse se tenait, tête basse.

Boule des Flammes n’avait pas été choisi pour commencer son entraînement. Pourtant, il avait le même âge que ses sœurs ! Pourquoi pas lui ? C’était si injuste ! Il était bien meilleur combattant que ses sœurs ! Il méritait son nom d’apprenti ! Il ravala ses larmes de rage. Sa mère tenta de le consoler, mais rien n’y fit. Et si les chatons de Feuille Aquatique avaient raison ? Et s’il n’était vraiment qu’une vieille chouette ? Et s’il n’était vraiment qu’un poids ? Qu’un bouffon trop rond ?

Chagriné, le petit retourna à la pouponnière. Là où il resterait encore longtemps, il en était certain. Était-ce donc là, sa place ?

Heureusement pour Boule des Flammes, le soleil ne tarda pas à décliner. Couché contre les flancs de sa mère, le jeune mâle réfléchissait, sa tête posée sur ses pattes rondes. Un peu plus tôt dans la journée, il avait voulu s’entraîner avec sa mère –mais celle-ci lui avait répondu d’une voix patiente que ses maux de tête la prédestinaient plutôt au repos.

Il avait vraiment envie de dépenser son énergie, de s’entraîner ! S’il s’entraînait, peut-être que leur chef le reconnaitrait digne d’avoir lui aussi son nom d’apprenti ? Ragaillardi par cette pensée, le petit se redressa d’un bond et poussa du museau sa mère. Celle-ci le repoussa doucement, mais fermement. Oh, c’est vrai, ces maux de tête ! Ces maux de tête l’empêchaient de jouer avec lui ! Que pouvait-il faire, dans ce cas?

Isolé des autres, Boule des Flammes avaient maintes fois observés les interactions entre félins, sans jamais y participer. Le guérisseur de leur Clan était d’ailleurs l’un des félins ayant passé souvent sous le regard envieux du chaton. Boule des Flammes aurait aimé être comme lui. Lui, il était respecté. Lui, il était aimé. Il soignait les chats et on l’aimait pour ça.

Oh. Si Boule des Flammes réussissait lui aussi à soigner un félin, peut-être cessera-t-on de se moquer de son visage ovale et de ses oreilles pendantes ? Peut-être même qu’on l’apprécierait ! Il coula un regard vers a mère. Il avait déjà vu le guérisseur soigner une ancienne qui se plaignait de maux de tête avec une plante aux fleurs jaunes et blanches. Il se souvenait de ses feuilles à segments larges et aromatiques. Il était certain de pouvoir la reconnaitre !

N’écoutant que son désir d’amour, le chaton s’échappa discrètement de la pouponnière pour se diriger vers la grotte du guérisseur. En voyant ce dernier absent, ou du moins c’est ce qu’il lui sembla, il sauta sur l’occasion. S’engouffrant dans l’antre impressionnant, le rouquin s’approcha à pas feutré des étagères de plantes et remèdes en tout genre. Au début, il resta coi devant tant de nouvelles choses. Il ne s’était pas attendu à cela ! Ses yeux se plissèrent alors qu’il observait chaque plante avec attention. Des fleurs mauves, de l’écorce, de l’herbe à chat, des graines de pavot, d’autres graines de pavot et... ah ! Des fleurs blanches et jaunes ! Le chaton se leva sur ses pattes arrière pour humer l’odeur des feuilles – oui ! C’est ce que le guérisseur avait donné à la vieille chatte ! D’un coup de dent, il prit dans sa gueule la plante et repartit aussi silencieusement qu’il était arrivé, loin des regards.

Ou presque.

Dans un coin de la grotte, le guérisseur avait observé toute la scène avec attention. Au début, il avait eu l’intention de gronder le chaton pour avoir quitté sans permission la pouponnière, mais en le voyant approcher ses étagères emplies de remèdes, il avait cru entendre une petite voix lui souffler d’attendre encore un peu. Au moindre signe de danger, il serait intervenu, mais, étrangement, le petit semblait savoir ce qu’il faisait. Ou du moins, il savait à peu près ce qu'il venait chercher. Même si ne le faisait que par mémoire visuelle, cela restait impressionnant pour un chaton.

À partir de ce jour, Boule des Flammes, bien qu’il ne fût pas plus accepté par ses camarades, scella son destin.

Le jour où, enfin, Boule des Flammes devint Nuage des Flammes, fier apprenti-guérisseur du Clan des Ténèbres, le chaton avait déjà énormément changé. À force de moqueries, il renvoyait désormais la balle sans aucune honte. Remarquant que l’attaque était sa meilleure protection, le matou n’hésita pas à se défendre de plus en plus à coup de mots bien placés et de paroles secs. Rapidement, il comprit également qu’il pouvait devancer les moqueries en s’en prenant aux autres avant qu’ils s’en prennent à lui.

Peu à peu, Nuage des Flammes devint donc un apprenti vif, colérique et irascible. Sans être réellement méchant, il fut bientôt connu de tout le Clan pour son fort caractère qui le mena à renvoyer sèchement quiconque tentant de s’approcher de lui. Se faire des amis devint rapidement un problème pour ce chat à la fourrure de flammes.

Cela étant dit, pour tromper son ennui et pour combattre sa mauvaise estime de lui, il se promit de mettre toutes ses forces au service de son Clan, aidant jour et nuit la guérisseuse devenue sa mentore. Au moins, ainsi, il n’était plus seul.

À défaut d’être aimé pour ce qu’il était, il le fut pour ce qu’il représentait. Un futur guérisseur.