Réflexions [ft. le patron]

Tel un enfant ennuyé, Etoile du Lynx contemplait le plafond rocheux de sa tanière, soupirant d'aise. Ha, ha. C'était parfois ennuyant d'être le maître du monde. Il venait tout juste de vérifier, il y a de cela une dizaine de minutes, en l'absence d'Écorce de Chêne qui s'en était allé patrouiller avec son groupe, si le Clan des Ténèbres se portait bien et si tout le monde contribuait à l'enrichir en chassant ou en patrouillant aux frontières. Parce qu'il se doutait bien que certains éléments perturbateurs de la tribu, quoique effacés lorsqu'il entrait en scène, sévissaient, et flemmardaient dans un coin en attendant que d'autres fassent tout le boulot à leur place. Ceux-là, Etoile du Lynx se réservait le plaisir de leur coller ses griffes dans leur figure. Encore fallait-il qu'il leur tombe dessus au bon moment …

En tout cas, il n'avait rien à faire de particulier aujourd'hui, si ce n'est réfléchir à sa vie et à ses futurs projets claniques. Déjà un petit moment qu'il n'avait pas eu une jolie compagnie féminine pour la nuit … oh, que cela l'ennuyait de ne plus pouvoir lire de l'adoration dans les yeux de ses prétendantes alors que lui n'en avait fichtrement rien à faire d'elles. Il se sentait adoré, respecté et dominateur dans ces moments-là. Comme toujours. Mais il y avait une part d'intimité dans ces échanges-là, sans le reste du monde pour interférer. Une bataille à deux, où les meilleures armes s'avéraient être les sentiments et la force de caractère.
Le regard vide, il observa les roches parfaitement lisses – ou presque – du plafond, se demandant qui avait pu, jadis, dormir et s'ennuyer dans cette tanière avant lui. Son passif d'oncle, Etoile du Cerf, y avait séjourné … puis la battante d'Etoile de la Renarde, supérieure de son oncle, qui avait longtemps lutté contre le Clan des Lumières avant de relâcher son dernier souffle. Puis avant elle, c'était Etoile du Dragon, son arrière grand-père, qui avait volé le cœur de Ruse de la Renarde avant de lui céder le pouvoir. A y songer, Etoile du Lynx trouvait cette romance parfaitement ridicule. A ses yeux, l'amour n'était qu'une invention des faibles pour combler la faiblesse du cœur et de l'esprit de la victime. Mais soit. C'était grâce à eux qu'il était né et qu'il pouvait désormais redresser le Clan des Ténèbres. Songeant plus profondément à ce que lui avait raconté son oncle du temps de son enfance, il se souvint qu'Etoile du Requiem avait cédé sa place à Etoile du Dragon pour la même raison : la faiblesse de cœur, façon plus violente : il était tombé amoureux d'une chatte d'un clan ennemi. Avant lui, Etoile d'Améthyste, la plus ancienne des meneuses, et aussi compagne du lieutenant Cœur de Lynx – le Lynx … douce ironie – qui avait cédé à la maladie.

Songeur, le chat roux se demandait désormais comment il trouverait la mort. Serait-ce par rébellion, tué par un chat de son propre clan ? Il eut un soupir d'ennui profond. Ou peut-être par la guerre … tant de possibilité. Mais il avait tant de choses à faire avant de céder sa place à Écorce de Chêne. Tiens …

« Etoile du Lynx ? C'est Écorce de Chêne. Je viens faire mon rapport et j'ai apporté de quoi manger si tu le souhaites. »

Tiens. A parler du loup, voilà que celui-ci annonçait sa présence. Baillant à s'en décrocher la mâchoire, Etoile du Lynx se retourna, lentement, annonçant sa réponse à son fidèle lieutenant.

« Tu peux venir. »

S'ébrouant rapidement, le meneur attendit patiemment l'arrivée d'Ecorce de Chêne. Loin de lui l'idée que ce dernier puisse le voir retourné sur le dos, à contempler des étoiles invisibles au plafond. La mine sérieuse et sans aucun doute intéressée, le neveu d'Etoile du Cerf s'adressa aussitôt à son bras-droit lorsqu'il distingua sa fourrure sombre à l'entrée de la tanière :

« Alors ? Quelles sont les nouvelles ? Je me hâte de les connaître. »

Et pourtant, sa voix trahissait nulle autre sentiment que la sérénité, le calme, le sérieux. Il n'était ni excité, ni ennuyé à l'idée de connaître les nouvelles. A vrai dire, il espérait que toutes seraient satisfaisantes. Si un chat ennemi osait s'en prendre au Clan des Ténèbres … il ne donnerait pas cher de sa peau impure.
Glissant un regard impassible au gros rat dans la gueule de son cher lieutenant, il attendit que ce dernier le lui emmène. Eh oui. Quitte à être chef jusqu'au bout, il profitait des privilèges que le Clan des Lumières lui conférait.

La voix grave du meneur signalait à Écorce de Chêne qu'il pouvait pénétrer dans la tanière. Reprenant son gibier entre les dents, il passa le rideau de lierre et cligna pendant quelques secondes les yeux afin de les habituer à la lumière tamisée qui régnait ici. Étoile de Lynx le fixait de ses yeux jaunes mais Écorce de Chêne n'était nullement impressionné. Le chef lui demanda alors de déballer toutes les informations de la journée. Il déposa le rat à ses propres pattes et entama son rapport journalier, préférant rester debout pour cela.

« Les patrouilles frontalières ont repérés quelques odeurs neigeuses près du marquage mais aucun félin ennemis n'a passé la frontière. Concernant la frontière commune avec le Clan des Bois, il n'y a rien à signaler. Le matou marqua une pause, puis reprit la parole. Quelques odeurs de solitaires ont été repérées vers le Tronc et j'y ai dépêcher une patrouille pour essayer de dénicher le coupable. Par contre, aucunes traces de blaireaux ou de renard n'ont été senties ou trouvées. »

C'était tout pour les patrouilles frontalières ou les odeurs détectées en chasse. Écorce de Chêne décida d'entamer la dernière partie de son rapport toujours avec ce calme serein et sa voix posée.

« Des patrouilles de chasses m'ont aussi signalé une hausse importante des populations de rats vers le charnier de la Colline. Nous devrions organiser une battue avant que le problème ne prenne trop d'ampleur et que l'herbe à chat des guérisseurs ne vienne à manquer. Tu aurais des suggestions ? »

Il passa en vitesse les dernières informations données par les guerriers afin de s'assurer de ne rien avoir oublier omettre dans son rapport, mais rien ne lui alarma qu'il avait oublié quelque chose. Il reprit le rongeur entre les dents et l'apporta jusqu'à Étoile de Lynx qui n'avait pas dit un mot depuis qu'il était entré. Le lieutenant se contenta alors d'attendre une réponse du meneur roux et resta assis à une ou deux queues de renard de lui.

Silencieux, Etoile du Lynx se permit de fixer Écorce de Chêne tandis que celui-ci déposait son gibier devant ses pattes pour déclarer :

« Les patrouilles frontalières ont repérés quelques odeurs neigeuses près du marquage mais aucun félin ennemis n'a passé la frontière. Concernant la frontière commune avec le Clan des Bois, il n'y a rien à signaler. Quelques odeurs de solitaires ont été repérées vers le Tronc et j'y ai dépêcher une patrouille pour essayer de dénicher le coupable. Par contre, aucunes traces de blaireaux ou de renard n'ont été senties ou trouvées. »

Le meneur, malgré sa quiétude apparente, sentit quelques-uns de ses poils se redresser à l'idée qu'un intrus se soit aventuré au sein de son royaume. Il avait une sainte horreur des félins qui osaient s'attaquer au code du guerrier et encore plus lorsqu'il s'agissait de ses biens à lui ce qui, honnêtement, n'était jamais bon signe. Il répandait le sang de ses propres traîtres sur ses terres ; n'était-ce déjà pas suffisant pour effrayer les étrangers ? Ils en redemandaient ? Le neveu d'Etoile du Cerf retint un soupir contrarié. Eh bien, il y aurait de nouveaux cadavres de solitaire qui décoreraient les alentours du Tronc.
Au moins, il pouvait se satisfaire de l'absence de blaireaux et de renards sur son royaume. Ils étaient particulièrement coriaces dans leur genre et le rouquin ne tenait pas plus que ça à affaiblir considérablement son clan alors que pour le moment, ce dernier avait besoin de sang frais.

Écorce de Chêne continua son discours, semblant ne point se douter des idées sombres du roi des ténèbres. Un léger sourire aux babines, il imaginait d'ors et d'avance ses prochaines directives qui ne seraient, de toute évidence, aucunement profitables à leurs ennemis … Il n'avait pas de temps à perdre avec les négociations, les avertissements. Ses ennemis devaient se rentrer une bonne fois pour toute dans le crâne qu'Etoile du Lynx ne riait pas aussi facilement des détails. Toujours aussi silencieux malgré ses idées nouvelles, il attendit que son lieutenant achève le rapport du jour.

« Des patrouilles de chasses m'ont aussi signalé une hausse importante des populations de rats vers le charnier de la Colline. Nous devrions organiser une battue avant que le problème ne prenne trop d'ampleur et que l'herbe à chat des guérisseurs ne vienne à manquer. Tu aurais des suggestions ? »

Écorce de Chêne maîtrisait parfaitement la situation, apparemment. Sa voix impériale résonna dans la roche comme une menace froide et indiscutable.

« J'en ai. D'abord, l'idée d'une battue pour éradiquer ces rats est une bonne idée. Je voudrais que tu t'occupes de cette hausse de population le plus vite et le plus efficacement possible. Compris ? Quant à ces solitaires … Assure-toi de leur mettre la patte dessus avant qu'ils ne sortent du territoire. Et si tu y parviens, tue-les. » Son lieutenant ne serait peut-être pas d'accord. Peut-être aurait-il l'audace de discuter ses paroles malgré le ton qu'il avait pris pour lui donner des directives. Il insista. « Pas de négociation possible avec eux. La mort de ces traîtres fera réfléchir nos ennemis les plus curieux. Le Clan des Ténèbres ne plaisante pas avec l'insolence. »

En parlant d'insolence, il fallait dire qu'Etoile du Lynx n'était pas plus doux avec ses propres guerriers. Il surveillait le comportement de ces derniers et ceux de ses apprentis, attendant d'eux plus qu'une attitude soumise : il la voulait exemplaire. Les trublions qui refusaient de lui obéir étaient tués et les plus intelligents continuaient de vivre sous son toit, en échange leurs compétences dans la chasse et le combat. C'était ainsi que ça se passait sous son règne.
Écorce de Chêne avait souvent le nez dehors. Avait-il remarqué des nouveautés au sein du camp ?

« D'ailleurs, as-tu pu observer le comportement de nos soldats ? Tout se passe bien ? Pas de révolution, ni de résistants en devenir vis-à-vis de l'autorité ? » s'enquit-il, plissant légèrement les yeux.

Encore une fois, s'il fallait qu'il tue de nouveaux guerriers, aussi innocents soient-ils, pour faire définitivement comprendre à son peuple les conséquences d'une telle rébellion derrière son dos, alors il le ferait. Il n'avait pas peur. Il était encore jeune, fort et doté de neuf vies. Pourtant, tout cela ne le faisait pas rire du tout.
Écorce de Chêne déposa le rat devant ses pattes. Le rouquin plongea ses canines dans la chair chaude et juteuse du petit animal, tout en ne le quittant pas des yeux. C'était là une question sérieuse qu'il lui posait, et il ne comptait pas le laisser partir de sa tanière avant d'avoir obtenu une réponse à cette dernière.

« J'en ai. D'abord, l'idée d'une battue pour éradiquer ces rats est une bonne idée. Je voudrais que tu t'occupes de cette hausse de population le plus vite et le plus efficacement possible. Compris ? »

Hochant la tête, Écorce de Chêne passa en revu les quelques guerriers qui pourraient l'aider dans sa tâche de manière efficace. En équipe avec les meilleurs ratiers du clan, la battue devrait se dérouler sans trop d'encombre. Mais avant de prévoir une attaque directe, le lieutenant devait d'abord rendre visite aux et s'assurer que leurs réserves étaient assez conséquentes ; qui sait que ces galeux de rongeurs pouvaient bien leur faire. Une idée trottina aussi dans la tête du gris et il en fit part à Étoile de Lynx.

« Je pensais aussi emmener quelques apprentis pour les former aux battues, cela leur permettraient de voir comment celles-ci se déroulent et quels sont les précautions à prendre face à des rats. Qui sait, nous aurions peut être de bonnes surprises parmi ces jeunes ? »

Le meneur reprit par la suite la parole, attaquant cette fois-ci le sujet des Solitaires qui vadrouillaient sur leurs terres en toute impunité. Mais les mesures drastiques de l’Étoile imposa firent hérisser le poil du gris et il insista bien sur le fait qu'il voulait les voir mort. Dans ce cas-là, c'était presque inutile de rétorquer.

« Quant à ces solitaires… Assure-toi de leur mettre la patte dessus avant qu'ils ne sortent du territoire. Et si tu y parviens, tue-les.  Pas de négociation possible avec eux. La mort de ces traîtres fera réfléchir nos ennemis les plus curieux. Le Clan des Ténèbres ne plaisante pas avec l'insolence. »

« Bien, je ferais en sorte de leur faire comprendre cela. » soupira-t-il. « Néanmoins, je pense que les blesser suffisamment pourrait leur faire comprendre le message. De plus s'ils rencontrent leurs camarades, ces chats errants leur feront passer le message : je pense que ça serait doublement efficace et limiterait encore plus leur venue sur le territoire. Et renouveler la même opération jusqu'à ce que l'information leur soit bien imprimée dans la tête. »

Leur faire comprendre oui, les tuer, non. Même s'il respectait les directives qu'on lui donnait, de telles méthodes étaient à l'encontre même du Code du Guerrier ; Écorce de Chêne regrettait parfois de ne pas avoir insisté sur ce point lorsqu'il était le mentor du Nuage qui régnait à présent sur les Ténèbres. Dans son cas, le lieutenant allait juste les blesser assez pour leur faire passer le message et les dissuader de revenir, de façon à se qu'ils aient quand même une chance de s'en sortir, si Étoile de Lynx ne changeait pas d'avis. Mais dans cette façon de faire, le gris devait jouer prudemment ses cartes ; si des taupes à la solde du Lynx lui racontaient ce qu'il avait pu faire à l'encontre de ses indications, le matou risquait gros. Étoile de Lynx reprit ensuite la parole, cette fois demandant comment les guerriers du clan se comportaient, désireux de savoir ce qu'il se passait au sein du camps.

« Je ne pense pas que le camp soit animé par des envies de révolte. Chacun fait le travail qu'on lui donne sans broncher, le tas de gibier et encore bien remplis. Et dans l'ensemble les apprentissages se déroulent bien. Excepté celui de sa propre apprentie qui séchait à la moindre occasion, pensait-il. D'ailleurs en parlant d'apprentissage, nous devrions commencer les évaluations des apprentis plus âgés. »

Pensif, Écorce de Chêne secoua la tête et fit valser le collier de poils qui entourait son encolure. Ils devaient aussi trouver une façon de voir si les guerriers étaient efficaces sur le terrain.

« Je pense que nous devrions aussi évaluer les guerriers ayant déjà terminé leurs lunes d'apprentissage depuis plus ou moins longtemps afin de voir si certains sont toujours à un bon niveau. Mais cette fois il faudrait les évaluer de façon à ce qu'ils ne se doutent de rien ; j'imagine qu'ils n'accepteraient pas d'être espionné de la sorte s'ils le savaient. »