Le Bon, La Brute et Le Truand [ft. Petite Tempête]

Cœur de Roc bailla à s’en décrocher la mâchoire. Le grand félin avait, ces derniers temps, une fatigue presque permanente. Etait-ce son âge qui avançait ? Il ne le savait pas ou du moins ne voulait pas le savoir. Il s’ébroua vigoureusement la tête faisant vibrer ses moustaches puis s’approcha du centre du camp. C’était le milieu d’après-midi et Cœur de Roc était rentré plus tôt de sa partie de chasse avec seulement un merle frêle car il savait qu’il allait repartir en patrouille le soir et voulait économiser ses forces. Alors que son estomac grogna, il regarda piteusement le tas de gibiers pas très garni. Finalement il se résigna à faire demi-tour pour réduire sa tentation.

Il pensa à aller faire un somme au coin de la tanière des guerriers mais en passant devant la pouponnière il vit un éclair blanc au coin de son œil. Par habitude il crut d’abord qu’il s’agissait de son fils avant de se rappeler que Nuage du Cygne était devenu apprenti et devait surement être en entraînement au moment même. Il tourna donc la tête pour voir quel chaton était si excité par cet après-midi chaude. Il reconnut facilement Petit Tempête, la fille d’Etoile Arctique. Elle jouait avec sa sœur devant la tanière des reines alors que le camp était encore relativement vide. Amusé, Cœur de Roc s’approcha des deux petites et sourit, un peu mélancolique de l’époque où ses propres chatons étaient à la pouponnière. Alors Petit Panda fonça droit dans les pattes du matou. Gênée, la petite recula de quelques pas un peu étourdie par la rencontre un peu brutale entre sa tête et les pattes du guerrier gris.

- Et bien Petit Panda, tu ne regardes pas où tu vas ?

La saison chaude avait enfin pointé le bout de son nez, entraînant des températures élevées comme les chatons peuplant la pouponnière n'en avaient jamais vues. Au cours d'une exploration en solitaire, Petite Tempête avait vu des guerriers dormir dans un coin d'ombre, terrassés par la chaleur. Elle-même, elle beaucoup trop chaud chaud chaud à cause de ses longs poils étouffants. Mais Petite Tempête était une battante, une dure à cuire ; même sous la menace du soleil, elle ne renoncerait pas à la boule de mousse, à la bagarre, à l'exploration ou à tout autre jeux tellement amusant. Jouer c'était le bien, il fallait donc combattre pour la victoire du jeu.
Et comment mieux faire cela qu'en jouant ?
Alors que tout le clan était plongé dans une douce torpeur, Petite Tempête restait vaillamment devant l'ouverture de la pouponnière, surveillée par les reines, gesticulant en entraînant sa sœur derrière elle.

— Code 8, Panda, code 8 ! Intru repéré, mission on-le-dégage-d'ici ! Une vieille boule de mousse voltigea dans les airs, retombant entre les pattes de la bicolore Traitresse, tu ose aider un ennemi devant moi, fuiiitttt !

Se jetant sur sa sœur, la minette blanche l'obligea à détaler dans la clairière sous peine de recevoir le châtiment du gilli ; avec les lunes, elle s'était tellement perfectionnée que Panda préférait galoper dans le campement à chaque fois.

Petite Tempête poursuivait sa sœur de près lorsqu'elle vit les poils gris d'un guerrier se rapprocher dangereusement. Enfonçant les quatre pattes dans le sol du mieux qu'elle pouvait, elle tenta de s'arrêter avant la collision ; maintenant qu'il ne leur restait que deux lunes en temps que "Petites", il ne fallait plus se faire repérer pour une mauvaise conduire. Hors, foncer dans un guerrier était plutôt mal vu.
Petit Panda, n'ayant pas sa classe, termina de force sa course sur le grand guerrier cendré. Grand, baraqué, sérieux, il aurait impressionné n'importe quel chaton et Petit Panda recula en titubant, se confondant en excuses confuses. Se mordant les joues pour ne pas rire de la situation, Petite Tempête s'approcha, la queue bien droite ; elle n'avait pas peur, n'était pas même impressionnée. Si pour le moment il la dominerait aisément en combat, elle le surpasserait de toute façon au moment où elle recevrait son nom de guerrière. Petite Tempête était destinée à devenir la meilleure guerrière du clan.

— Et bien Petit Panda, tu ne regardes pas où tu vas ?

Petite Tempête explosa de rire au nez de sa sœur, qui regardait le sol comme si elle avait développée un amour soudain pour lui. Après un ultime bafouillement d'excuse, elle fit volte-face et s'engouffra dans la pouponnière, poursuivie par les « Pandaaa ?! » de la diablesse blanche.
Mais Petit Panda avait prit la fuite.

— Bon, pas grave. Elle se tourna vers le félin qui allait lui servir de distraction et entama la conversation Eh, bonjour monsieur le guerrier ! T'es un guerrier, au moins ? Et je t'ai pas déjà vu ? Tu sais pas, mais j'ai déjà vu plein de monde moi : maman, Panda, les reines de la pouponnière, les autres chatons, des apprentis … Même des guerriers … et même le chef du clan des bois ! Même que je sais plus comment il s'appelle. Petite pause pour récupérer la salive. Ah ! Moi je suis Petite Tempête, future chef du clan, et toi ?

Morte de honte, Petit Panda s’échappa presque aussitôt. Elle alla se terrer dans la pouponnière bien que héler à plein poumon par sa sœur. Quand celle-ci comprit que la bicolore ne ferait plus demi-tour, elle déporta soudainement son attention sur Cœur de Roc, presque comme si elle avait tout d’un coup oublié l’existence de sa sœur.

Ses petits yeux verts émeraude se levèrent vers ceux du matou avec une intimidation totalement cachée par sa curiosité et son intérêt pour le guerrier. Et soudain, sans aucun préambule, elle se mit à déblatérer :

- Eh, bonjour monsieur le guerrier ! T'es un guerrier, au moins ? Et je t'ai pas déjà vu ? Tu sais pas, mais j'ai déjà vu plein de monde moi : maman, Panda, les reines de la pouponnière, les autres chatons, des apprentis … Même des guerriers … et même le chef du clan des bois ! Même que je sais plus comment il s'appelle.  Ah ! Moi je suis Petite Tempête, future chef du clan, et toi ?

Qu’est-ce qu’elle pouvait parler ! Une vraie pipelette cette Petite Tempête. Elle venait de lâcher un nombre incalculable de questions que Cœur de Roc s’efforçait de mémoriser pour pouvoir y répondre. La petite respirait l’enthousiasme et l’innocence de son jeune âge presque plus que Nuage du Cygne. C’était un sacré numéro. Le guerrier gris s’assit pour prendre le temps de se rappeler toutes les questions posées par la petite féline.

- Je m’appelle Cœur de Roc et je suis bien un guerrier. Tu dois sans doute connaître ma compagne, elle vivait avec les reines quand mes petits étaient à la pouponnière. Je crois que tu t’entendais bien avec Nuage du Cygne ?

C’est deux là faisaient la paire sans l’ombre d’un doute. Cœur de Roc n’osait pas les imaginer à l’époque où ils se côtoyaient encore à la pouponnière, ils devaient être insupportables.

Cœur de Roc allait pour rejoindre la tanière des guerriers mais ne put s’en résoudre. Petite Tempête le regardait avec tant d’insistance que même un aveugle se serrait senti mal à l’aise. Il allait sans dire que la chatonne avait décidé de passer son après-midi en compagnie du guerrier. Résigné mais au fond de lui tout de même un peu curieux d’apprendre à connaître le phénomène, il demanda :

- Eh bien dis-moi Petite Tempête, combien de lunes as-tu ? Tu devrais bientôt passer apprentie si je ne me trompe pas ?

Alors qu'elle venait tout juste de miauler son ambition, le guerrier cendré n'eut pas de réaction. Petite Tempête fit claquer sa queue d'agacement ; à force d'entendre des chatons dire des choses semblables, les guerriers ne savaient plus reconnaître les vrais futurs leaders. Il lui restait encore un long chemin à parcourir et cela commencerait par obtenir la reconnaissance de ses camarades. Elle calma donc son agacement croissant, se promettant que lorsque le félin la connaitrait mieux, il voudrait de lui-même l'élever aux postes importants.

— Je m’appelle Cœur de Roc et je suis bien un guerrier. Tu dois sans doute connaître ma compagne, elle vivait avec les reines quand mes petits étaient à la pouponnière. Je crois que tu t’entendais bien avec Nuage du Cygne ?

Ahhh … Elle comprenait mieux, à présent, pourquoi le félin lui semblait familier. Sans doute l'avait-elle croisé lors de l'une de ses visites. Ils avaient de la chance, Nuage du Cygne et ses sœurs, d'avoir un père présent pour eux. Étoile Arctique avait apprit un jour à Petite Tempête que son père à elle, qui était le même que celui de Petit Panda, était mort juste avant sa naissance. Elle n'en avait jamais été triste, ne pouvant pas comparer sa situation avec celle qu'elle aurait été si il avait vécut plus longtemps. C'était la même chose pour Petit Cordeau, son frère décédé.
Alors c'était cela, un papa ? Petite Tempête pencha la tête sur le côté, essayant de comprendre ce qui le différenciait des autres guerriers. Elle voyait simplement un félin comme un autre, pas plus intelligent ou plus fort.

— Ouai, Perlée et Cygne, ils sont cool. Même si Cygne il réfléchit pas beaucoup …

Elle gardait ses yeux émeraudes plantés dans ceux du félin, sans craindre d'avoir vexé ou fâché le guerrier ; Petite Tempête ne faisait pas attention à ses paroles, annonçant les choses comme elles lui venaient. Une sincérité désarmante. Heureusement pour elle, soit il ne lui en tenait pas rigueur, soit il n'avait pas entendu.

— Eh bien dis-moi Petite Tempête, combien de lunes as-tu ? Tu devrais bientôt passer apprentie si je ne me trompe pas ?

Petite Tempête bomba le torse, fière. En réalité, il lui restait encore deux lunes avant d'accéder au grade supérieur. Elle avait bien essayé d'amadouer sa mère, mais celle-ci était restée insensible aux arguments proposés.

— Presque bientôt, j'ai quatre lunes ! Je suis sûre que Maman elle me mettra le meilleur mentor et que je serais la meilleure apprentie à la fin. Même Cygne et Perlée, ils feront pas le poids !

Aussitôt le guerrier dit le mot d’apprenti, que la chatonne se redressa de fierté avec un air de grande guerrière aguerrie.

- Presque bientôt, j'ai quatre lunes ! Je suis sûre que Maman elle me mettra le meilleur mentor et que je serais la meilleure apprentie à la fin. Même Cygne et Perlée, ils feront pas le poids !

Ignorant les commentaires à propos de la progéniture du matou et surtout de sa supériorité par rapport à celle-ci, Cœur de Roc s’attarda sur la question de son mentor. Un instant le félin sombre se demanda s’il aimerait entreprendre son apprentissage. N’étant pas un grand patient, il avait volontairement refusé certaines propositions de prendre un novice. Il savait qu’un jour ou un autre il passerait comme tout guerrier au rang de mentor mais tant que son énergie et ses articulations lui permettaient, il préférait chasser de son propre arbitre sans une petite boule de poils incompétente et bien souvent trop bavarde entre les pattes.

Pourtant il y réfléchit pour la première fois. A vrai dire cette petite l’intriguait, toute cette ambition, cette envie de réussir, toutes ces étoiles dans ses yeux quand elle parlait de devenir la prochaine cheffe du Clan des Flammes, tout cela motivait une envie d’enseigner sans précédant chez Cœur de Roc. Il ne savait pas trop si c’était parce qu’il se retrouvait lui-même un peu chez Petite Tempête, en son temps, ou bien parce qu’avec autant de motivation elle ne serait pas un boulet.

C’était ça, il n’aimait pas les boulets, les apprentis fainéants qui retardent encore et encore leur passage au rang de guerrier. Le matou avait eu un apprentissage très rapide car il était très doué mais surtout extrêmement sérieux et précautionneux, le genre à ne jamais faire un pas de travers. C’était pour cela qu’il était devenu guerrier à dix lunes. Alors il voyait bien que Petite Tempête ne lui ressemblait pas en tout point, qu’elle n’était pas aussi butée dans la droiture, mais quelque chose lui disait qu’avec cette ambition profondément ancrée en elle de devenir la meilleure, une sorte de chantage permettrait à Cœur de Roc de lui transmettre les vertus du guerrier rapidement.

Le matou secoua la tête, voilà qu’il se voyait déjà son mentor sans même en avoir dit un mot à Etoile Arctique, la cheffe et mère de la petite. Et puis Petite Tempête l’avait dit, elle n’avait que quatre lunes, si deux lunes passaient vite aux yeux d’un guerrier, c’était long pour une chatonne coincée dans la pouponnière, elle aurait le temps de passer du tout au tout… Et lui de changer d’avis. Mais l’idée commençait à trotter dans sa tête, et puis il n’avait plus vingt lunes ; à quarante lunes, il se voyait déjà réduire en vivacité. Alors un peu malicieux et curieux, le guerrier demanda :

- Je sais que tu ne connais pas beaucoup de guerriers dans le Clan mais tu aurais une idée de qui serait ce "meilleur" mentor ?

Le félin restait silencieux, les yeux vaguement accrochés sur le pelage de Petite Tempête. Celle-ci pencha la tête, essayant de capter l'attention du matou, en vain. Songeant l'espace d'un instant à lui sauter dessus, elle abandonna vite l'idée ; plus stupide, on ne faisait pas. Après tout, elle avait quatre lunes maintenant.
À la place, elle s'attaqua à sa propre queue. On ne pourrait pas la réprimander, la menacer de retarder son baptême ; elle ne gênait personne. Comme sa queue lui filait entre les pattes en même temps qu'elle tournait, elle se retrouva vite sur le dos, le pelage plein de poussière.

Mais le jeu lassa vite Petite Tempête et elle leva les yeux sur le félin gris qui l'observait d'un air amusé.

— Je sais que tu ne connais pas beaucoup de guerriers dans le Clan mais tu aurais une idée de qui serait ce "meilleur" mentor ?

Petite Tempête se redressa, réfléchissant attentivement à la question. En effet, elle ne connaissait pas grand monde parmi les guerriers, pour ne pas dire personne. Pourtant, sûrement parce qu'elle était la fille d'Étoile Arctique, certains guerriers où apprentis venaient lui parler quand elle s'amusait dehors.
Et en général, ça l'agaçait.

Elle dépoussiéra son poitrail blanc du bout de la patte, une grimace de réflexion sur le museau. Non, elle n'arrivait pas à répondre à la question. On ne pourrait pas lui coller le lieutenant, puisqu'il avait déjà Nuage de Cygne sous son aile. Et jamais on ne mettait les apprentis avec leurs parents, donc ça ne serait pas sa mère non plus.
Sa queue s'agita. À son sens, chef et lieutenant étaient nommés à leurs postes justement parce qu'ils étaient les plus valeureux.
Elle n'aurait pas le meilleur guerrier pour mentor. Sauf si …
Chef et lieutenant n'étaient plus des guerriers. Et puis, même si on lui collait un incapable, quel plus beau moyen de faire ses preuves qu'en devenant quand même la meilleure ?

— Ben j'aurais dit Maman, mais le code du guerrier le veut pas … Sinon, mes tatas et mon tonton ? Tu sais pas, toi ? Tu dois savoir mieux que moi. Et  t'es fort comme guerrier et chasseur ? Parce que y'a pas que le combat qui compte, hein !

Cœur de Roc s’amusa à observer la chatonne à l’apothéose de sa réflexion. Sans nul doute, son cerveau tourbillonnait pour se remémorer chacun des visages qu’elle avait vus dans le camp. Finalement et avec un ton dans lequel se faisait sentir une grande réflexion et une déduction certaine, elle miaula :

- Ben j'aurais dit Maman, mais le code du guerrier le veut pas … Sinon, mes tatas et mon tonton ? Tu sais pas, toi ? Tu dois savoir mieux que moi. Et t'es fort comme guerrier et chasseur ? Parce que y'a pas que le combat qui compte, hein !

Elle était intelligente, sans l’ombre d’un doute, un certain trait qu’elle avait pris de sa mère, et également de son père se dit le matou bien qu’il n’ait connu Serre d’Aigle que très brièvement. Le guerrier fut particulièrement impressionné par cette capacité d’analyse pour son jeune âge. Une autre facette de Petite Tempête qui faisait que le chat brun ne l’appréciait qu’encore plus. Cette petite-là, elle avait le mental pour aller loin.

A son tour, Cœur de Roc prit son temps pour réfléchir aux hypothétiques futurs mentors de la petite. Comme elle l’avait très justement dit, Etoile Arctique n’était une possibilité car la cheffe était la mère de Petite Tempête et puis la meneuse s’occupait déjà des apprentissages d’autres apprentis. De même Flamme Rousse, le jeune lieutenant avait en charge Nuage du Cygne. Il réfléchit aux tantes et à l’oncle de la chatonne, le matou savait déjà que Fleur des Abeilles avait pour apprentie Nuage Perlé mais il lui semblait pas que les autres n’étaient pas mentors, ou bien ne le seraient plus sous peu.

Mais quoiqu’il en soit, Cœur de Roc comptait bien mettre en avant ses propres capacités pour qu’elle aussi désire apprendre à ses côtés. D’un œil un peu taquin, il répondit alors dans ton qui trahissait une pointe de fausse modestie :

- Je me débrouille. Disons que je suis passé guerrier à dix lunes, j’étais alors le plus jeune guerrier qu’on avait vu depuis un bon moment. Et puis je gagnais presque toujours mes combats contre ta mère, on était apprentis en même temps.

Bien qu’il ait horreur de se mettre en valeur comme cela, le matou roula des épaules. C’était loin d’être modeste mais il fallait sortir le grand jeu s’il voulait que Petite Tempête ait envie de l’avoir pour mentor. Et puis ce qu’il disait n’était pas si faux, il était meilleur combattant que la meneuse sans doute parce qu’il était bien mieux bâtit pour la lutte qu’elle. Et bien entendu il avait omis d’évoquer qu’il était un piètre chasseur face à Etoile Arctique.

Le félin ne répondit pas immédiatement, sûrement plongé en pleine réflexion. Il regardait Petite Tempête attentivement et celle-ci songea qu'il tentait de réfléchir à l'une de ses questions en particulier : quel pourrait-être le meilleur mentor pour elle ? Visiblement, la question n'était pas simple pour lui non plus, alors qu'il était pourtant un guerrier.
Peut-être que dans le fond, aucun des félins que comportait le clan des flammes ne serait apte à la supporter jusqu'au sommet.

Il passa la question, comme s'il s'agissait d'un problème insoluble, pour plutôt se pencher sur le reste de son monologue, dont elle-même ne se souvenait déjà plus. Petite Tempête parlait tellement, par moment, qu'il lui était impossible de se souvenir de tout ce qu'elle sortait. Après tout, comme elle ne disait toujours que ce qu'elle pensait, était-ce vraiment grave ?

— Je me débrouille. Disons que je suis passé guerrier à dix lunes, j’étais alors le plus jeune guerrier qu’on avait vu depuis un bon moment. Et puis je gagnais presque toujours mes combats contre ta mère, on était apprentis en même temps.

Petite Tempête regarda le félin presque de travers, pas du tout certaine de l'exactitude de ses paroles ; jamais elle n'avait entendue parler d'un apprenti nominé guerrier à seulement dix lunes, en général, c'était plutôt l'inverse qui se produisait. Sinon, pourquoi serait-elle encore une chatonne ? Elle avait la niac de ses aînés, maîtrisait les mêmes techniques qu'eux juste avant leurs baptêmes et était suffisamment intelligente pour ne pas se fonder dans des en nuits trop gros pour elle.
Et en plus, il disait être plus puissant que sa mère, mais n'était ni chef, ni lieutenant.

— Bah pourtant, c'est pas toi le chef, aujourd'hui. Et je savais pas qu'on pouvait être nommés plus tôt. Dis, pourquoi j'suis pas encore novice, alors ?

Il pouvait faire le fier, gonfler le poitrail, ça ne l'impressionnait pas du tout. À la place, Petite Tempête étira le dos et la tête vers le ciel, afin de se grandir. Elle aussi, elle était importante. Où plutôt, elle aussi, elle serait importante.

Petite Tempête le regardait avec des yeux dans lesquels perçait le doute. Elle ne semblait pas vraiment sûre des dires du matou. Et pourtant c’était bien vrai ! Cependant Cœur de Roc fut plutôt flatté que ses prouesses soient telles que la petite n’arrivait pas à le croire. Pour le coup il avait réussi à capter son attention. Ce fut donc avec surprise que Petite Tempête lui renvoya :

- Bah pourtant, c'est pas toi le chef, aujourd'hui. Et je savais pas qu'on pouvait être nommés plus tôt. Dis, pourquoi j'suis pas encore novice, alors ?

Cœur  de Roc ronronna d’amusement.

- Tu n’as pas tord, je ne suis pas chef…

Il l’avait bien cherché à vanter ses mérites comme cela. De plus il savait bien où voulait en venir la chatonne : sa mère était la cheffe, celle dont il avait si peu modestement dit avoir battu au combat. C’était une sorte de petite vengeance gentillette que Petite Tempête, en bonne fille avait lancé au matou un peu trop sûr de lui. Mais Cœur de Roc sentait bien un certain intérêt dans le fond de sa pensée. Le baptême avancé du guerrier n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd, la petite avait bien entendu que l’on pouvait voir sa nomination hâtée et y avait vu une chance de devenir apprentie plus tôt. Ronronnant de plus belle, Cœur de Roc essaya de se rappeler dans sa propre jeunesse quand il attendait impatiemment le jour où il se verrait attribué son nom de nuage et s’imaginait que Petite Tempête devait être bouillante à l’idée de devenir dans moins de deux lunes une novice. Cependant Cœur de Roc préféra calmer ses ardeurs :

- Le baptême de guerrier peut-être un peu plus tôt si ton mentor pense que tu es prêt mais le baptême d’apprenti n’est jamais avancé. Tu devras attendre tes six lunes comme tout le monde pour avoir ton nom de nuage. Mais si tu t’entraînes bien tu pourras peut-être passer guerrière à dix lunes comme moi !

En un ronron, Cœur de Roc lui accorda le point. En même temps, comment dépasser ce jugement ? Par la force brute, elle voulait bien le croire, il lui était sûrement supérieur. Mais pour le reste, en totalité, elle le dépassait obligatoirement ; comme elle l'avait dit, Étoile Arctique était chef et lui non.

Maintenant que le sujet était clos, Petite Tempête regardait le chat gris avait des étoiles dans les yeux. Une formule magique existait-elle, pour qu'elle puisse enfin passer apprentie ? La réponse qui tomba fut une déception qu'elle tenta de cacher au mieux, une grimace d'impatience se formant sur son visage angélique.

- Le baptême de guerrier peut-être un peu plus tôt si ton mentor pense que tu es prêt mais le baptême d’apprenti n’est jamais avancé. Tu devras attendre tes six lunes comme tout le monde pour avoir ton nom de nuage. Mais si tu t’entraînes bien tu pourras peut-être passer guerrière à dix lunes comme moi !

Elle lui présenta sa face dépitée, perdant quelque peu son intérêt pour lui. Ce n'était pas le baptême de guerrière qu'elle souhaitait presser, mais bien celui d'apprentie ; elle s'ennuyait comme un rat mort dans la pouponnière et avait le sentiment qu'une fois apprentie, les choses ne tournerait pas ainsi.

- Mouai... bof. C'est pas mal d'avoir un long apprentissage, si on connaît plein plein de choses après ! En plus, si je passais apprentie maintenant, bah j'aurais aussi été guerrière plus tôt, mais avec un apprentissage assez long ! Donc c'est dommage. En plus je suis petite et pas forte donc j'aurais un peu du mal.

Elle commençait déjà  à tourner les talons, pressée de rejouer avec Petit Panda. Discuter de ses ambitions était bien, mais se dépenser encore mieux.

- Mais je deviendrais quand même super-méga forte., précisa-t-elle tout de même. Même que les gens ils seront encore plus admiratifs, parce que j'avais pas de capacité spéciale ! Vous verrez, monsieur Cœur de Roc ! Bon, par contre je m'en vais hein, Panda elle doit m'attendre là. Au revoir !

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