Now or Never ▬ Éclair Blanc.

L'aube saigne dans le ciel, panaché violine et ocre, caché derrière les nuages noirs de l'orage, les gouttes tombent paisibles. Des sauvages, s'aventurent dans la tanière des guerriers, inondant les trous. Le beau temps revient jour après jour, chassant la neige et les nuages gris rendent le ciel opaque et les étoiles lointaines la nuit tombée. Il faut passer par là, avant que la chaleur ne vienne réveiller les rongeurs, que la lande soit chaudes. Dans le noir, ses yeux perçants s'allument et la vie se ranime dans son corps ankylosé. Les nuits d’Éclair Blanc sont vides de rêves depuis longtemps, de simple repos et fatigantes, parfois, quand les ronflements de ses camarades viennent perturber la légèreté de son sommeil. Il rêvait avant, de plaines et d'étendues vastes et libres. Il rêvait de son père, quand il était encore là, à ses cotés et il aimait croire que leurs rêves étaient communs. Même si lui, jamais ne le voyait. Il reste allongé dans l'obscurité ambiante un moment, le temps que ses yeux s'habituent à la luminosité et qu'il se décide à bouger, s'étirant d'abord. Griffes sorties grattant le sol et y laissant leur trace, marquant son emplacement, son territoire au sein de son propre clan. Le guerrier est un solitaire né, fier de chacune de ses propriétés, d'une prise de chasse à une place sur le sol. Aucun autre son que celui de son corps qui frôle le toit n'est produit, froissement de feuilles, gout elles qui tombent et le poil qui s’humidifie instantanément d'une douche froide. Il miaule en silence, dévoilant des crocs, affamés. Le ventre se tord et l'appétit grogne. Il s'élance d'un pas et félin et léger à l'extérieur, évitant avec grâce les corps de ses camarades encore dans les brumes de l'inconscience. Dehors, il constate platement l'orage qui gronde, écoute attentivement, les oreilles tendues, les plaintes du ciel. S'imagine, en haut, dans un monde lointain, des guerres entre soldats des étoiles et forces obscures. Pense, une pensée futile pour l'apprentie que son coeur a aimé. Pour ce père qui les a abandonnés. Pour ceux qui sont partis, qu'il ne reverra jamais.

Les oreilles tendues, captent l'appel. Curieuses.
Il tourne la tête, dans son dos Etoile Fauve se tient. Royal. Le poil flamboyant que le temps rend terne, il s'amuse à chercher la fatigue dans les yeux, la moindre émotions. Sur ses lippes, l'apparence d'une mesquinerie, Éclair Blanc fait volte-face et plante ses yeux dans les siens, d'un air de défi. Il ose, comme il ose dire, comme il ose faire, comme sa vie elle même est une pied de nez à l'autorité. Des yeux comme des griffes, griffes qui déchirent, couleur de l'éclair. L'orage, éclate et l'éclair troue le ciel. Narguant le gibier, le ventre faim ne sera pas rassasié. Dans le silence bruyant, le matou grimpe jusqu'à la tanière, la roche glisse sous ses coussinets alors il agrippe à la surface, l'odeur de la mousse et de l'herbe humide au fond des narines, qui lui évoquent l'enfance. « J'arrive. » Affable. Le ton est grave et encore endormi. L'intérieur de la tanière est humide, une chaleur ambiante. La chaleur d'un corps qui s'y est attardé, la chaleur du meneur. Le guerrier attend, patience, il attend avant d'entrer et pointe son museau pointu à l'intérieur. Liasse des traces de pattes, de terre, de boue et d'herbes. Il se secoue avec prudence, chasse la bruine fraîche de son pelage. Blanc, noirci au niveaux des pattes, sales. Indécent. « Tu souhaitais me parler ? » Le tutoiement reste poli, formel. Un soupçon de frisson descend de son échine. Il guette les réactions, la sentence. Un autre éclair. Un autre orage.

Les mots sont acides, grignotent, attaquent et se déversent comme un poison. Plus ils sont ruminés plus ils font rapidement effet dans les nerfs, alors Éclair Blanc conserve le calme olympien et laisse passer l'orage. Il le laisse éclater au dessus de sa tête et prie quelques étoiles qui brillent encore dans le matin, qu'il ne soit pas touché par la foudre. Il la connaît maintenant, elle ne manquera pas de l'atteindre ; il veut lui survivre cette fois-ci, en gardant la tête haute et le regard vers l'avenir. L'amertume d'hier est celle d'aujourd'hui et les erreurs du passé bien que lointaines pour le guerrier, sont toujours d'actualité aux yeux des camarades. Et il comprend. Sa traîtrise, un fardeau qu'il porte ses épaules fines mais musclées, tel un poids dont il n'arrive pas à se libérer, pèse plus fort encore quand les paroles du meneur atteignent ses oreilles. Elles vibrent interloquées, mais le faciès reste de marbre. Aucune émotion qui traverse le regard, seule deux orbes jaunes terrifiantes qui percent les nuages sombres. Et il comprend, intelligemment, se refait l'histoire contée par Etoile Fauve. Et en arrive à sa propre fin, sa propre conclusion. Il s'est assit maintenant, la queue enroulée autour des pâtes toujours boueuses, elle aussi souillé. Il observe, silencieux, un sphinx. Il observe et pour l'instant ne dit rien, mais les insultes fusent dans sa caboche, les mots percutent, manquent de s'évader. Il doit les poser, préparer sa réplique, la contre attaque. Vaine, mais nécessaire. Alors, il s'autorise l'ombre d'un sentiment, prétentieux. « Je te comprends Etoile Fauve. Je comprends ta rancœur. » Il admet, abdique. C'est vrai. Il est un traitre. De la pire espèce.
Il a vendu ses frères, pour un peu d'amour.
Il a vendu son avenir, pour un regard.
Il a vendu sa vie, pour chasser un peu de chagrin.
Mais un chat est mort et son père est parti, un cadavre lui a coûté, tout. Son égoïsme, à volé la vie d'un autre, ou pas, qui sait. Qu'il soit directement coupable, ou non, plus personne ne veut s'en méler. Il l'est. Il est coupable d'exister, d'être fils de. Coupable pour Pelage d'Ondée. Retour à la solitude morse. Aux regards brûlants de haine, au jugement. Et de tout, il a eu un petit peu, un morceau, une carcasse, puis a tout perdu. Les babines dévoilent les crocs, carnassier. Il se repent seul, car tout le monde le voudrait coupable. « J'estime avoir ma place au sein du clan et je n'ai cure de ton avis. J'agis en guerrier loyal et j’obéis à tes ordres, indépendamment de mon mépris pour ton mépris à mon égard. » La tête se penche un peu sur le coté. Il réfléchit. Il dit ce qu'il pense, sans filtre. Juste diplomate et respectueux comme il est. Bien sur, il est insolent, comme tous les jeunes de son âge. Car l'insolence est la défense de ceux qui n'ont pas la sagesse, ni le dernier mot. Mais qui le volent, comme une proie chapardée sous le nez d'un chasseur. Jouant sur les notions de frontières. Entre des clans. Entre des termes. Jouant avec les autres. « Je n'ai pas besoin de ta confiance, elle ne m'empêche pas de vivre. Je fais ma vie. Je n'attendrai pas que ton avis change. » Il ne trahira plus, il ne fera plus d'erreurs. Qu'importe, s'il meurt seul et oublié, si l'on ne l'enterre pas, si il pourrit au fond d'une rivière, dévoré par sa propre ambition. Si on le tue. Il s'en fiche, royalement, littéralement, car le dédain dans son attitude est réel. Le regard mit-clôt. Sage. Trop sage pour les mots acerbes qui s'échappent.
Il n'aura plus ce qu'il veut, il n'a plus rien à perdre, mais rien à gagner. Alors il vit, pour lui même. Car il ne reste que lui, à la fin.