Histoire :Gabbro est né cette nuit de pleine lune, où tout était tellement calme qu'on n'entendait que les cris d'une mère qui donne naissance. Une nuit où pas un nuage ne flottait dans le ciel, et pourtant une certaine humidité régnait, quelque chose de pesant... Dans l'atmosphère, une tension semblait palpable. Car cette nuit était bien différente des autres, par la naissance d'un être vraiment étrange. Quelqu'un qui n'aurait sans doute pas dû survivre, mais dont le destin en décida autrement. La naissance d'un fou. D'un dangereux psychopathe.Le début, Gabbro ne s'en souvenait pas très bien. Des cages de verre, son frère et sa sœur. Des Bipèdes, grands, imposants, qui passaient et repassaient. Une foule de personne, toujours, sauf la nuit. Et l'impossibilité pour les trois chatons de jouer. Chaque fois que Gabbro et son frère Volcan essayaient, les Bipèdes les séparaient... Ils étaient condamnés à une vie immobile.
Et un jour, leur sœur Magma leur expliqua ce qu'elle avait entendu :
« Aujourd'hui, c'est un
salon. Il faut montrer aux Bipèdes qu'on est fort et en bonne santé pour qu'on sorte.
— Qu'on sorte où ? interrogea Gabbro.
— Ailleurs... »
Aucun ne savait exactement ce qu'était le "dehors". Mais ils rêvaient d'y aller. Alors les trois petits chats essayèrent d'attirer l'attention sur eux. Eux, les trois nouveaux-nés American Shorthair. Pure race. Oui, ils devaient sortir de là.
Une vieille Bipède s'approcha. En un instant, elle avait flashé sur eux. Mais elle n'en prendrait que deux. Les deux mâles... Gabbro et Volcan. Elle repartit, laissant Magma seule dans la prison de verre.
***
La Maison. Les deux chatons n'avaient jamais vu un espace aussi grand. Pour eux en plus ! Ils visitaient la cuisine, Volcan alla renifler le lait qui était dans un bol, et Gabbro, plus hésitant, le suivait de près. Magma avait raison. Ils s'étaient échappés, mais sans elle... Peut-être qu'ils la reverront bientôt ? Il l'espérait.
Il était déjà tard, et les deux chatons baillaient de fatigue. La Bipède les guida jusqu'au salon, lieu où deux caisses les attendaient. Gabbro se coucha, épuisé. Demain ils pourraient jouer et visiter, explorer les moindres recoins de leur nouveau nid !
Et ce fut ce qu'ils firent. Dès qu'ils s'éveillèrent, un peu déboussolés au début, ils partirent explorer les lieux. Gabbro se dirigea vers le côté qu'il n'avait pas encore vu, tandis que Volcan retournait dans la cuisine. Il y avait un grand aquarium, posé sur la table, et Gabbro admira fasciné les poissons colorés qui nageaient dedans.
Et puis cette montée, immense... Les escaliers. Gabbro sentait qu'il ne pouvait pas monter si haut. Qu'il n'arriverait pas à tout escalader. Et puis il commençait à avoir faim ! Il retourna sur ses pas, entra dans la cuisine. Volcan était déjà en train de manger les croquettes servies par la Bipède, et il se mit à son tour à table.
« Mmh, jamais rien mangé d'aussi bon !
— C'est sûr... J'ai trouvé des trucs intéressant de l'autre côté.
— Ah ?
— Ouais. »
Puis les journées passèrent. Les deux chatons commencèrent à oublier leur sœur, ils grandirent dans la bonne humeur, soudés comme deux frères... Mais dans leur relation quelque chose clochait. Comme une haine froide cachée sous leur air d'amour fraternel...
***
Gabbro avait six lunes à présent. Et avec son frère, ils étaient dans la Voiture. Pour aller où ? Ils l'ignoraient. Dans la petite cage de transport, Gabbro n'arrêtait pas de s'agiter en tous sens. Il avait été lavé la veille : de l'eau, et il n'avait pas détesté. Le savon lui avait un peu piqué les yeux, mais la mousse et les bulles étaient amusantes. Et au tour de son frère, il l'avait entendu hurler à travers la porte. Intérieurement, il s'était moqué de lui, le trouillard qui avait eu peur d'un peu d'eau inoffensive.
Gabbro avait été pomponné, peigné... Il ne savait pas ce qui lui arrivait. Et c'était là qu'on l'avait mis dans cette cage avec son frère, puis la Voiture avait démarré.
« Tu sais où on va ?
— Aucune idée.
— Bon... J'ai confiance en elle...»
Gabbro hocha la tête. Lui aussi avait confiance. Il n'avait pas peur, il était même allé une fois chez le Vétérinaire, mais cette fois il savait qu'ils n'étaient pas en route pour y aller. En effet, ils s'arrêtèrent sur une grande place, où des tas d'autres Voitures étaient garées partout. L'air de dehors était frais, et les odeurs félines se mêlaient. Il n'était pas à l'aise, et il voyait dans le regard de son frère que lui non plus.
Gabbro voyait des Bipèdes, des dizaines de Bipèdes grouillant comme des fourmis. Non, ils ne grouillaient pas, ils ne bougeaient pas... Ils étaient là, assis, à le regarder lui. Et puis quelqu'un arriva, pris des mesures avec un drôle de bâton, et il alla noter tout ça sur une feuille. Et on le ramena dans sa cage, puis son frère passa à son tour.
On vint le chercher, au bout de longues minutes d'attente. Assis la queue autour des pattes, un rayon lumineux braqué sur lui, sa maîtresse s'était abaissée jusqu'à lui pour lui murmurer :
« On a gagné ! Tu as gagné !»
Le chaton inclina la tête. Qu'avait-il gagné ? La médaille sur son cou le grattait, mais il voulait se pavaner avec. Il avait compris une chose : il avait gagné, grâce à sa beauté sans doute. Il savait que son frère serait jaloux, mais il était trop heureux... L'American Shortair le mieux foutu, c'était lui !
***
Les lunes passèrent. Les deux chatons avaient dix lunes, et il ne entendaient pas toujours bien... Des disputes, sans grands intérêts. Gabbro avait gardé une fierté et un peu trop d'orgueil du concours gagné.
Ce jour-là, Volcan vint le trouver en courant, les yeux exorbités ; et alors que Gabbro se demandait ce qui pouvait bien lui arriver, il n'eut pas à attendre longtemps...
« Je crois qu'elle est morte ! Marguerite...
— Hein ? Comment...»
Gabbro ne termina pas sa phrase. Il ne voulait pas savoir. Il ne voulait pas aller voir non plus. Mais ce qu'il se souvenait de cet épisode de sa vie, c'était des Bipèdes qui sont venus. Le reste... Le reste il ne pouvait se rappeler. Avait-il eu des moment de joie durant cette période ? Sans doute pas, finalement.
Il se retrouva dans une cage. La SPA. Le jeune mâle gris tigré vécu mal cet emprisonnement, lui qui avait gambadé presque neuf lunes de sa vie dans la Maison et le jardin. Ne plus pouvoir bouger, c'était trop contraignant pour lui.
Un jour, au bout de presque une semaine passé dans la cage de fer, un homme arriva. Le Bipède choisit Gabbro uniquement. Faut dire, ça devait être écrit quelque part, "gagnant d'un concours". Donc lorsqu'il quitta les lieux, il promit à son frère qu'ils se reverraient. Qu'ils se retrouveraient même avec la distance.
Dans sa nouvelle Maison, il y avait une autre chatte. Une femelle persan. Elle était gentille, et Gabbro apprit rapidement à la connaître et à avoir confiance en elle. Elle avait des connaissances dans toute la Ville, et elle dit un jour au jeune mâle alors qu'ils discutaient :
« Tu sais, je peux t'aider à retrouver ton frère, et peut-être même ta sœur.
— Vraiment ? Tu... Tu ferais ça pour moi ?
— Bien sûr. On est amis, n'est-ce pas ?
— Oui. »
Ce que Gabbro ignorait, c'est que dans ce monde chaque chose avait un prix. Même les plus anodines... Tel que faire chercher son frère par une chatte dont il ne connaissait pas grand chose. Et lui, petit ignorant naïf, allait payer cher pour cette simple chose...
Un jour, après près d'une lune sans nouvelles de Volcan, Gabbro vit revenir la chatte avec un grand sourire. Il se demandait pourquoi, qu'est-ce qui la mettait de si bonne humeur. Il n'eut pas à attendre la réponse longtemps, car elle se dirigea vers lui et annonça en toute tranquillité :
— J'ai retrouvé ton frère.
L'excitation remplaça bientôt la surprise, et le mâle, souriant, commençait à tressaillir sur place d'impatience.
— Où est-il ?
— Viens avec moi.
Et il parti alors avec elle sans plus de cérémonie. Ils s'arrêtèrent à l'orée d'une forêt, et la femelle lui dit qu'elle repartait. Qu'elle n'avait pas à se mettre au milieu des retrouvailles. Et puis elle s'en alla, se retourna une dernière fois en lui jetant un regard étrange. Et il attendit...
***
Son frère était là. Il attendait, en embuscade sans doute que Gabbro passe. Depuis toujours, Volcan l'avait détesté, haï comme un ennemi. Et ce jour-là, Gabbro se demandait justement "Pourquoi ? Pourquoi mon frère me déteste-t-il ? Que lui ai-je fait ?" Et cela remontait à une époque où les deux chats ne pouvaient faire autrement que se détester. Mais Gabbro ignorait tout de la haine jusqu'à ce jour.
Gabbro attendait juste, alors même que le soleil entamait sa descente dans le ciel. Il faisait assez chaud, mais un fond d'air frais, une brise légère rendait l'atmosphère supportable. Et tout à coup, alors que le mâle gris marbré s'engageait dans la forêt, pour aller voir il entendit un bruit. Un petit chuchotement, il tendit l'oreille.
« Psst, Gabbro, viens ici !»
Curieux, sans se douter de rien, Gabbro obéit à la voix qu'il reconnut comme étant celle de Volcan ; mais il ne savait pas quelles étaient ses intentions.
Et tout se passa rapidement. Volcan essaya de mordre à la gorge son frère, qui se débattait tant bien que mal. Du sang coulait, liquide rougeâtre visqueux, d'une épaule de Volcan. Gabbro, en dessous de son frère, le voyait tomber sur lui, sur le sol, partout où il regardait il voyait ce sang. Et puis les crocs s'enfoncèrent dans sa gorge. Il ne voulait pas mourir ! Pas encore ! D'une dernière secousse, Gabbro planta les griffes de ses pattes arrières dans le ventre de Volcan, et découpa les chairs tendres du ventre. Volcan s'écroula, lâchant prise, et Gabbro se libéra du corps mort. Il venait de... De tuer... Tuer son frère. Tuer celui qui comptait le plus dans son cœur. Assassiner !
Pourquoi ? Comment ? Gabbro était là, aujourd'hui, sans savoir ce qu'il s'était passé. Et puis, où était-il ? Qui était-il ? Au fond, il s'en fichait. Il devait rentrer chez ses Bipèdes avant la nuit, et tant pis pour le reste. Son estomac criait famine de toute façon. Le retour fut laborieux. Gabbro s'était trempé dans une flaque pour faire disparaître le sang. Et lorsqu'il arriva devant chez lui, tout lui semblait bien sombre. La lumière rouge du soleil couchant ne lui rappelait que ce meurtre qu'il avait commis.
« Miaaah !»
Le miaulement déchirant fendit l'air. Un Bipède sortit du nid, Gabbro entra, et s'endormit aussitôt dans son panier moelleux.
Dans son cœur quelque chose s'arrêta, mais sa vie n'était pas finie pour autant... Ce n'était que le début. Le début de son existence. Une page s'était tournée, mais il en restait tant d'autres à écrire... 
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