Petit tour entre ami [Pv Coeur de Roc]

J'étais déjà réveillée, prête à donner les tâches de la journée, quand le soleil pointait le bout de sa truffe dans le ciel. Je regardais un instant l'astre, prenant bien soin de poser ma patte au dessus de mon regard pour ne pas finir aveugle. La lumière attirait par la suite quelques lève tôt, je leur assignais donc la première patrouille. Je passais entre les félins désignés en voyant une fourrure très soignée reconnaissable entre mille. Avec un léger sourire, je rejoignais le félin qui sortait d'un coin sombre du camp. Je saluais Coeur de Roc une fois à sa hauteur. Je l'invitais à me rejoindre pour manger, avant qu'il puisse répondre, j'allais chercher une proie sur la pile de gibier avant de revenir vers lui. Je déposais la proie à ses pattes sans quitter mon sourire joyeux.

Voyant qu'il ne réagissait pas tout de suite, je prenais la première bouchée, mâchant avec lenteur avant de pousser la proie vers lui. Prenant mon temps pour bien mastiquer, je finissais par avaler ma bouchée avant de prendre la parole :

"-Une partie de chasse ça te tente ?"

Depuis quelques jours, ses démons étaient revenus le hanter. Chaque nuit, ils l’oppressaient, le détruisaient. Cœur de Roc faisait toujours le même rêve, il revoyait le mentor de son frère arriver en panique dans le clan, criant que les apprentis étaient en danger et le matou ne pouvait bouger. Ses pattes pesaient un blaireau mort et ses griffes semblaient scellées dans le sable du camp qui se refermait sur lui. Alors le guerrier se réveillait tout transi, le souffle coupé, le cœur frappant terriblement sa poitrine.

Une fois encore, Cœur de Roc avait fait le même cauchemar qui l’avait réveillé avant le levé du soleil. Il s’était levé malgré la fatigue du manque de sommeil qui lui cernait les yeux. Ses pensées se perdirent à nouveau dans la tragique fin de son frère, sa sœur et son père et ses pattes le menèrent vers un recoin abrité des regards. Il s’assit et entreprit de nettoyer sa fourrure, toujours perdu dans ses songes funestes.

Peu à peu le clan se réveilla, une agitation réconfortante lui fit relever légèrement le museau. Il sortit de sa cachette, espérant trouver une occupation, un travail à effectuer qui lui ferait oublier sa peine. Il leva les yeux et aperçut une féline immaculée aux yeux si reconnaissables. La meneuse du clan s’approcha gaiement du matou, sourire au museau. Elle l’invita à manger avec lui d’un ton enjoué. Cœur de Roc regretta de ne pouvoir se joindre à sa joie matinale mais le cœur lui manquait. Elle fit demi-tour et revint avec une souris dodue qu’elle posa face à lui. Cœur de Roc n’avait pas faim, il observa la proie sans désir. Etoile Arctique avala une bouchée et lui demanda :

-Une partie de chasse ça te tente ?

Le guerrier leva finalement ses yeux vers la féline et un léger sourire le trahit. La cheffe le connaissait et avait lu en lui. Il hocha de la tête et s’efforça à avaler un peu de souris. Puis il s’engagea dans le tunnel avec la meneuse, il salua le guerrier en faction et se retrouva bientôt à l’air libre. Il leva le nez et détecta aussitôt l’odeur d’un écureuil. Il se baissa sur ses pattes et s’approcha de la proie doucement. A quelques longueurs de queue du rongeur, il marcha sur une brindille et l’écureuil s’enfuit rapidement dans un arbre proche. Cœur de Roc regarda ses pattes et avisa la branche qui l’avait trahi, elle était facilement visible, une erreur de débutant. Il se tourna vers la cheffe et lança un peu honteux :

-Désolé, je suis un peu distrait en ce moment.

Le guerrier restait muet, perdu dans ses pensées. Il m'avait à peine regarder depuis mon arrivée. Je commençais à m'inquiéter pour lui. Il levait enfin son regard vers moi, me lâchant un petit sourire avant d'hocher la tête et d'arracher un morceau de la proie. Nous finissions notre repos avant de partir chasser.

Je l’entraînais sur le territoire, le laissant chasser d'un côté pendant que je prenais l'autre. J'étais en train de flairer l'odeur un lapin et venais tout juste de le filer quand un craquement me faisait sursauter. Je me tournais vers Coeur de Roc, gêné qui s'excusait :

"-Désolé, je suis un peu distrait en ce moment."

Je lui faisais un petit sourire, revenant vers lui avant de poser ma queue sur son épaule avant de lui répondre que ce n'était pas grave.. Je voyais bien qu'il n'était pas en forme. Peut être qu'une partie de chasse pour lui changer les idées ne marchaient pas.. Je devais trouver autre chose. Le voir ainsi me faisait de la peine. Je retirais ma queue de son épaule, m'asseyant à ses côtés avant de reprendre :

"-Si tu as besoin de parler.. Je suis là tu sais. Parler pourra peut être t'alléger d'un poids, tu sais."

Cœur de Roc s’assit, Etoile Arctique vint le rejoindre et posa sa queue sur l’épaule du guerrier. Elle le couva d’un regard réconfortant et esquissa un léger sourire. Cœur de Roc comprit ce qu’il signifiait, une façon adroite de la cheffe de lui donner son soutien. Les deux félins avaient connu des passés compliqués, lourds en pertes coûteuses et plus d’une fois ils avaient été présents l’un pour l’autre. Finalement la meneuse retira sa queue et miaula simplement :

-Si tu as besoin de parler.. Je suis là tu sais. Parler pourra peut être t'alléger d'un poids, tu sais.

Quelques mots anodins mais lourds en importance. Une invitation chaleureuse à ce qu’il se confie. Cœur de Roc remua, se balançant d’une patte à l’autre. Finalement il se hissa sur ses quatre pattes. Il n’avait pas vraiment envie de s’apitoyer sur son sort, de raviver les plaies une fois encore. Il aurait aimé être capable de tirer un trait sur le passé comme les autres arrivaient à le faire, mais cela lui était impossible. Une grande partie de ce qu’il était reposait sur ce passé douloureux. Parfois, le moral retombait, ce n’était pas grave, juste tristement habituel. Alors, n’osant croiser les yeux d’Etoile Arctique, il répondit :

-Ça va… Ce sont juste quelques souvenirs qui refont surface.

Sa voix n’était pas convaincante, à juste titre : il n’allait pas bien et cela était indéniable. De toute façon la meneuse ne bougeait pas et Cœur de Roc comprit qu’elle ne lâcherait pas l’affaire de sitôt. Le matou gratta un peu la terre par inconfort et finit par se confier.

- J’ai à nouveau ces cauchemars, je revois la mort de Nuage Azur, Nuage de Châtaigne et Fumée Noire…

HRP:

Le guerrier restait d'abord silencieux, se balançant d'une patte sur l'autre avant de se remettre sur ses quatre pattes. Évitant soigneusement mon regard, il finissait par parler :

"-Ça va… Ce sont juste quelques souvenirs qui refont surface."

Ne bougeant pas d'un poil, le fixant du regard, j'attendais qu'il parle. Grattant la terre voyant que je n'allais pas lâcher l'affaire, il reprenait :

"-J’ai à nouveau ces cauchemars, je revois la mort de Nuage Azur, Nuage de Châtaigne et Fumée Noire…"

Mon regard s'attendrissait, devenant compatissant et que trop compréhensif. Je me relevais, m'approchant de nouveau de lui. Je me collais à lui, voulant le réconforter avec la chaleur de ma pelisse. Je reprenais ensuite, fermant les yeux un instant :

"-Je revois aussi mes proches dans des rêves.. Peut être ne sont-ils pas tous joyeux. Mais parfois, il faut un mal pour un bien."

J'ouvrais de nouveau mes yeux, me mettant devant le guerrier. Entourant sa truffe avec ma queue pour attirer son regard vers le mien, je m'expliquais :

"-Peut être as-tu envie de revoir ses événements et les changer.. Bien que le passé ne pourra être changer.. Parle moi donc d'eux. De tes bons souvenirs pour contrebalancer ces mauvaises visions."

HRP:

Le regard d’Etoile d’Arctique se fit compatissant. Elle comprenait que trop bien ce que ces rêves voulaient dire. Elle se rapprocha du matou et lui souffla :

"-Je revois aussi mes proches dans des rêves.. Peut être ne sont-ils pas tous joyeux. Mais parfois, il faut un mal pour un bien."

Cœur de Roc sentit la douleur que portait la meneuse dans sa voix. Il releva un peu la tête et essaya de sourire. Sûrement n’était-il pas très convaincant. Elle passa sa queue sous sa truffe et continua :

"-Peut être as-tu envie de revoir ses événements et les changer.. Bien que le passé ne pourra être changer.. Parle moi donc d'eux. De tes bons souvenirs pour contrebalancer ces mauvaises visions."

Cœur de Roc se leva pour s’éloigner un peu du va-et-vient du clan. Marchant côte à côte avec la meneuse. Après avoir un moment gardé le silence, rassemblant ses idées, il finit par se lancer :

- J’étais encore un novice, mon père était mon mentor. C’était au début de mon apprentissage, il est venu me réveiller un matin avant l’aube et m’a amené à la Colline du Ciel. On a observé ensemble le levé du soleil c’était magnifique.

Cœur de Roc se remémora ce doux matin où il avait vu s’illuminer devant lui tout le Clan des Flammes, comme si le soleil l’embrasait. Le clan n’avait jamais aussi bien porté son nom qu’en se matin-là. Il aurait voulu retourner à ce jour béni où il avait pu partager un moment de bonheur avec son père… Il se souvint lui avoir posé tout un tas de questions sur la vie de guerrier, sur ses obligations. Il se souvint avoir rêvé ce jour-là, au près de son père, d’être le plus grand de tous les guerriers et de se battre au près de son père pour défendre son clan. Ses oreilles s’abaissèrent à nouveau et ses épaules s’affaissèrent. Il ne se battrait jamais aux côtés de son père… Il souffla, désespéré, et se tourna vers Etoile Arctique.

- J’avais tant de rêves quand j’étais petit et j’aurais voulu qu’ils se réalisent. Mais j’ai tout fait foiré.

Je fixais le guerrier attendant qu'il parle et défasse le poids qu'il avait sur le cœur mais au lieu de parler, il se relevait et m'entraînait plus loin. Je le suivais en silence. Il finissait par se lancer après plusieurs minutes sans discussion, me parlant de son père. Me disant qu'il était son mentor lors de son apprentissage et qu'au début de son entraînement, un beau jour ordinaire, ils ont regardé le levé du soleil ensemble. Je souriais en pensant à ce moment complice père-fils. Après le moment d'émerveillement en pensant à ce doux souvenir, le guerrier devenait plus sombre en reprenant, désespéré :

"-J’avais tant de rêves quand j’étais petit et j’aurais voulu qu’ils se réalisent. Mais j’ai tout fait foiré."

Je lui répondais aussitôt que rien n'était de sa faute, qu'il n'avait rien foiré comme il dit. Tant de choses arrivent.. De perte et de regrets, mais c'est en rien la faute des vivants. C'était bien l'une des choses que j'avais comprise au fil du temps.. On pouvait avoir douleur et regret envers l'être perdu mais se sentir coupable était la dernière chose à faire. Les faits ne pouvaient être changer et penser à une alternative pouvait faire plus mal que la réalité.. Voulant qu'il continue, je l'incitais à poursuivre son récit.

Etoile Arctique le regarda avec toute la gentillesse du monde. Elle lui répondit avec douceur que la culpabilité n’amenait à rien, que la mort de proches pouvait bien amener à beaucoup de sentiments, tristesse, regret et que cela était tout à fait normal. Mais que la culpabilité était toujours à tord et que quelque soient les faits, se sentir coupable n’aidait en rien. Cœur de Roc hocha la tête sans grande conviction. Il savait que ce jour tragique, il aurait pu les aider et que peut-être la finalité n’aurait pas été la même. Peut-être que s’il avait aidé sa fratrie au lieu de rester figé dans le camp, ils ne seraient pas tous morts. Et mille discours sur l’inutilité et l’irraison de la culpabilité n’effacerait jamais se sentit si ardent qui donnait chaque jour à Cœur de Roc l’impression d’être un traître, qui lui rappelait chaque jour que l’histoire aurait pu être différente.

Le matou réalisa après quelques songes que la meneuse avait fini et le regardait avec douceur, l’incitant à reprendre. Il toussota et miaula :

- Je sais ce qu’on dit : on récrirait l’histoire avec des si… Mais bon, il y a des vérités que l’on ne peut juste pas regarder en face.

Il lui lança un regard entendu, plein de sous-entendus. La cheffe avait aussi perdu nombre de ses proches, son père, son compagnon dont on avait jamais pu mettre un raison sur sa mort et pour finir son fils, mort-né.

- Je sais que tu me comprends.

Le guerrier restait un instant dans le vague avant de toussoter et de reprendre. Sachant pertinemment qu'on ne pouvait pas réécrire l'histoire mais voilà, certaines vérités, il est bien dur d'y faire front. Il me lançait ensuite un regard entendu, me disant qu'il savait que je comprenais cette sensation. Il n'avait pas tord.. J'avais perdu plusieurs proches, au nombre de trois. Bien que je n'étais pas toujours en accord avec mon père, sa perte m'avait fait un choc.. Mais c'est celle de mon compagnon et de mon fils qui m'ont mise à genou. J'aurais voulu faire quelques choses pour revoir mon compagnon vivant dans le camp. Mais je n'avais rien pu faire et ce sentiment était persistant. Je comprenais tout à fait. Mais je combattais cela, me refusant à réécrire la réalité.. Je faisais front à la réalité, faisant des cauchemars, me réveillant parfois en larmes. Mais je le savais au plus profond de moi, cela ne pourrait pas être changer quand bien même nous nous refaisons des scénarios. J'avais abandonné cette idée, préférant garder les bons souvenirs en mémoire.

J'étais perdue dans mes pensées depuis plusieurs minutes. Je relevais mon regard vers Coeur de Roc, lui offrant un sourire sincère avant de lui révéler :

"-Bien évidemment, j'ai du mal à faire face à la mort de mon fils et celle de mon compagnon.. Bien sûr, j'en fais encore des cauchemars. Mais ce n'est pas cela qui compte.. Je vais t'avouer que tout les mois, pendant une nuit, je sors du camp pour aller au quatre chênes et m'offrir une soirée à penser à tout ses doux souvenirs. C'est mon moyen pour rester proche des disparus sans déformer la vérité. Celles de leur mort."

Etoile Arctique confessa au matou qu’elle aussi avait beaucoup de mal à accepter les morts de ses proches et qu’elle faisait, au même titre que Cœur de Roc bien souvent des cauchemars mais que cela ne comptait pas. Elle lui avoua qu’une nuit pas par lune elle allait se recueillir aux quatre chênes pour se rapprocher de ses morts et se remémorer les bons souvenirs. Elle lui indiqua également que ce moment de solitude lui permettait d’accepter la vérité sans la déformer.

Cœur de Roc baissa les oreilles, lui aussi aimait aller méditer assez régulièrement aux rochers lunaires. Il aimait s’imaginer qu’il y était plus proche de son père. Pourtant y repartait souvent qu’avec plus de regrets. Chaque fois qu’il y allait il partait le cœur plein d’espoir d’arriver à faire son deuil et chaque fois il revenait toujours plus mélancolique. Pourtant le silence était un trésor des plus précieux aux yeux du matou et il trouvait se calme loin de l’agitation du camp très reposant.

A vrai dire, Il ne savait pas vraiment pourquoi il repartait toujours aussi désarmé. Peut-être était-ce le regard de sa mère, quand il revenait, qui lui signifiait qu’elle désapprouvait que le matou puisse s’attrister de la mort de sa famille. Cœur de Roc savait pertinemment que sa mère n’aidait pas à son deuil, elle ne lui avait pas parlé depuis vingt lunes et chacun des regards qu’il parvenait à avoir était plus noir, plus accusateur, plus dégoûté que le précédent.

Enfin, il ne changerait pas sa mère tout comme il ne changerait pas la réalité alors il releva le museau et se tourna vers la cheffe, un sourire pâle qui essayait d’éclairer sa mine sombre :

- Et bien n’étions-nous pas venus ici pour chasser ? Il doit bien y avoir quelques lapins dodus à chasser ici.

Dit-il réalisant que inconsciemment leurs pattes les avaient guidés jusqu’aux terriers aux lapins.