Vie - 42 lunes - solitaire

Letzter Tag ( instrumental ), Herbert Grönemeyer

Comment je suis ? En voilà une drôle de question ! Je suis rousse comme les champs, pour ce qui est de la fourrure. J'ai le poil ras, c'est bien pratique à entretenir par ailleurs ! Sinon, j'ai un gabarit que je pense être splendidement ordinaire. Ah oui, autre petit détail notable : j'ai les yeux bleus, on me complimente souvent sur eux – je suppose que c'est tout ce que je peux avoir de spécial sur le plan physique. Je n'ai rien d'une beauté transcendante, et je me satisfais pleinement de ce physique un peu passe-partout, ni trop beau ni trop laid, juste ce qu'il faut pour vaquer tranquillement à mes occupations.

All is Love, Karen O and the Kids

Vie c'est un mot qui dirige tout. Vie c'est mon nom, simple, composé de trois lettres. Je l'aime d'amour. J'aime ce cœur qui palpite dans mon corps. On m'a appris à aimer tout ce qu'il y a sur cette terre. Les pierres, les plantes, les autres animaux, les chats. J'aime tout ce beau monde, je le respecte et je le révère. J'ai une extrême difficulté avec la malveillance, et je ne déteste personne, au plus je n'apprécie pas ceux qu'on peut qualifier d'« ennemis » et ne souhaite pas croiser leur route. J'ai dans mon cœur bien trop de fleurs à cultiver pour me permettre de gaspiller mon temps à détester quelqu'un, ça demande bien trop d'énergie aussi.

J'ai aussi du mal à saisir les avances et les regards intéressés, on me blâme à tort et à travers pour cela. Je dois réellement avoir une confiance bien trop grande pour la nature féline, mais c'est ainsi que je suis : j'aime trop les gens. Mes compagnons m'ont tous laissée après s'être rendu compte que je ne repoussais en rien ceux qui tentaient de me séduire, tout simplement parce que je n'étais pas capable de décoder leurs intentions. Au fond, cela me chagrine, mais je n'ai pas besoin de brader ma liberté pour une relation qui me changerait du tout au tout. Je suis telle que je suis, et il m'est impossible d'imaginer changer ma façon d'être pour qui que ce soit.

Je ne suis pas vraiment du genre à m'attacher exagérément aux autres malgré tout, et c'est probablement pour cela que je n'ai jamais vraiment eu d'endroit que je peux appeler « chez moi ». Je suis un électron libre, qui voyage de-ci de-là, sans jamais partir bien loin, et rend visite aléatoirement à ceux qui tombent en travers de mon chemin. Je n'ai ni l'envie ni l'intention de me fixer, je vagabonde joyeusement, et j'attends d'être bien vieille et fatiguée pour enfin envisager la possibilité de me poser quelque part, et de vivre une vie d'ancienne.

D'ici là, j'honore mon nom : vis, extorque tout ce que tu peux de la vie, et n'en laisse pas une miette, les corbeaux seraient bien trop heureux de s'en régaler.

The Times are a Changin' ( reprise ), Tracy Chapman

Je n'ai pas des paragraphes entiers à conter. Je suis née d'une mère nommée Drusilla, solitaire de son état, et d'un père domestique qu'on appelait Caïus. De ces deux énergumènes aux drôles de noms naquirent trois enfants : Harmonie, Paix, et moi-même, Vie. Vous vous doutez que nous n'avons pas été élevés dans la vénération de la guerre.

Refusant de nous élever dans un environnement de domestiques, notre mère nous fit grandir non loin du nid de notre père sans toutefois nous y mener. Cela créa quelques tensions au sein du couple, tensions qui eurent raison de celui-ci. Notre mère m'emmena avec elle, abandonnant en quelque sorte mon frère et ma sœur à mon père, qui pris avec lui ses deux enfants dans son nid de Bipèdes. Je les ai revus depuis, ils s'y plaisent fort bien et ont quelque rancune pour notre mère. Je ne peux que les comprendre, j'ai personnellement assez mal vécu l'absence de mon père.

Malgré tout, je pense être un être complet et autonome. Je remercie ma mère pour m'avoir donné l'amour des autres et de l'indépendance. Elle ne s'est pas laissée marcher sur les pieds et a gardé sa liberté coûte que coûte – à tort ou à raison ? J'aurais aimé avoir droit à des visites occasionnelles à mon père, ce que j'ai dû par la suite organiser par moi-même, ma mère rechignant à me mener de nouveau à lui.

La vie que j'ai vécue n'en est pas moins légitime, et ma famille, bien qu'exceptionnelle, n'en était pas moins ma famille, avec ma mère toujours proche de moi pour m'aimer et me conseiller. Ce qu'elle faisait de sa vie n'entamait en rien son investissement dans mon éducation et son affection pour ma personne – je préfère avoir vécu avec une mère qu'avec un couple qui aurait fini par se détester.

Aujourd'hui je vis seule et je vagabonde de territoire en territoire, m'attirant au passage foule d'ennuis et de représailles dont je n'ai que faire. J'apprends encore énormément et je reste toujours curieuse de découvrir de nouveaux lieux et de nouvelles personnes.