NAANGE ▼ soleil cherche futur.

Histoire :

Tout d’abord, il aurait aimé qu’on lui fasse une invitation à la vie. Le genre de lettres avec écrit « félicitations pour votre naissance, vous êtes au début de votre vie ! » A la place, il n’avait eu le droit qu’à la boue à sa sortie, au poil de sa fratrie, à la langue de son père, à ce manque d’amour maternel, à la souillure de la nature. On l’avait nommé Naange, sans aucune explication valable, juste cette sonorité laide et déformée. Les deux autres s’appelaient Jaya et Cerbère, avec aucune explication à la sortie du ventre. Si le chaton devait décrire la sensation de sa naissance, il l’aurait comparé à un gigantesque plongeon dans le vide. Froid, indescriptible, palpitant, barbant, et surtout dans un no man’s land. Ils n’étaient nulle part, dans une forêt perdue, un coin certainement penché de la terre.

Sans trop comprendre pourquoi ni comment, la mère disparut. Naange vécut dans ce schéma erroné d’une famille : un père, sans mère, avec trois enfants. Et quel père.  Le grand Maelström était le géniteur de la portée, un chat imposant avec un air de tyran, où tous les dictateurs de la terre se seraient soumis à sa puissance. L’esprit candide de Naange lui permit d’aimer son père, et dieu merci, il avait basé sa personnalité sur le pour. Il refusait très rapidement de se soulever à toute forme de négationnisme, et bientôt, il exécutait les ordres sans rechigner. Tue Naange, oui chef, pourquoi ? C’est mal ? La notion de bien et de mal était gommé et l’éducation lui lavait le cerveau comme du phosphore rongeait la peau. Cerbère vivait une relation conflictuelle avec Maelström, à la grande tristesse du chaton tigré. De son côté, Jaya suivait les ordres sans trop rechigner, ou se révoltant à petits bruits dans son coin. Quant à lui, Naange hurlait du silence, ne désirant qu’une famille unie. Son schéma familial se modifiait encore : une famille, c’est un père méchant, un enfant révolté, un enfant en colère, et un enfant triste. Parfois, il se demandait si le conflit était la source de toute passion, et son esprit trop binaire lui répondait tout simplement « non ».

Naange vit rouge lorsque son géniteur blessa Cerbère. « Papa, pourquoi t’as fais ? » avait – il dit en arrivant en courant. « Pour lui apprendre. » Lui apprendre quoi ? « Le respect. » C’est ainsi que le chaton commençait à dessiner un schéma audacieux dans sa tête : le fonctionnement du respect. L’autre bondissait sur le protagoniste qui le menaçait de mort, puis un combat se livrait où le plus jeune finissait avec une patte blessée. Sympathique. Très vite, Naange comprit que le monde de son père était sombre et néfaste. Sa vue, si claire, devint plus lucide. Effrayé, il se rapprochait de sa fratrie. A chercher trop de bonheur il en devint saoul, et quand Maelström forma sa troupe de solitaires, Naange frissonna. « C’est de la folie, ils vont mourir, ça va être horrible ! Jaya, y aura du sang ! Du sang de partout ! Cerbère, je comprends pas, pourquoi il fait ça c’est débile ! », l’inquiétude du petit soleil n’eut qu’un impact modéré sur la décision de son père, qui, plongé dans son ambition, continuait son petit bonhomme de chemin vers la quête des Clans. La chose qui choquait Naange était la non logique de son père. « Pourquoi papa il fait un clan de solitaires par pure haine des clans ? C’est ridicule ! » il riait fort, puis se prenait des mandales dans la tronche. Très vite, on l’entraînait à la guerre, à la mort, à tuer. Il exécutait aveuglement les ordres, pour éviter de trop recevoir sur la trogne. Puis il y eut ce que des humains pourraient appeler la « Grande Guerre », si celle-ci n’était pas rythmée à coup de balles et d’obus, les cris et les coups de griffes suffisaient à former un formidable ensemble.

Naange tentait de se défendre, mais impossible. Devant tant d’horreur, il était tétanisé, apeuré. Il pensait déserter comme ceux qu’on déteste, puis il revint à son idée principale : se battre. Il rangea ses griffes et alla au front à sa façon. « Arrêtez ! » hurlait – il. Il gueulait à qui veut l’entendre les avantages de la paix, la définition d’un traumatisme, les inconvénients d’une hémorragie. « Ta gueule petit, viens te battre », disait le bon gros matou de la tribu. Le petit apprenti frappait du pied, refusant de s’abaisser à une réalité aussi basse. Un cri familier se détacha de la masse sonore et Naange dressa une oreille. Jaya, merde. Il tourna la tête et fonça vers sa sœur. « Jaya ! Jaya ! » Il sortit ses griffes, décidé à en découdre avec celui qui osait toucher à sa tendre fratrie. Il y vit Maelström, dressé au dessus de celle-ci. Quel choc ce fut pour l’apprenti. Il restait là, le cœur lourd, les yeux emplis soudainement de larmes, les pattes molles. Impossible de faire un pas, il sombrerait dans le vide, et cette scène lui semblait à des années lumières de sa position. Il fut tenté de fermer les yeux, hurler et fuir au loin. Cerbère arriva, tel un héros sorti de nulle part. Trop tard, bien sûr. Si Jaya aurait pu être sauvée, cette histoire ne serait pas larmoyante. Il s’allongea près d’elle, désespéré et abattu. Dans la tête de Naange, c’était la cacophonie. Pour lui, il avait tué indirectement Jaya, par son manque de courage face au combat, son manque d’envie, son pacifisme bidon et ses utopies en ruines. Il devint déserteur et s’enfuit dans un coin reculé, attendant la fin du combat, qu’on vienne le chercher. A la fin de la guerre, on lui rapporta la manière héroïque dont son frère prit la tête de l’armée et sauva des vies, puis avec quelle lâcheté –selon les dires des solitaires- il s’enfuit avec les Flammes. Maelström, en mauvais état, maudit par tous les diables Cerbère, et se félicita d’avoir assassiné Jaya. Choqué, Naange préférait montrer patte blanche et analyser le caractère si étrange de son paternel, oscillant entre divers sentiments. L’amour inconditionnel qu’il éprouvait pour sa fratrie se mêlait aux valeurs tribales de son clan, et très rapidement, il se mit en tête qu’il devait devenir un « phare » pour la tribu. Il devait répandre paix et amour, et cette idée folle devint sa raison d’exister sur Terre.

Un moment clef de sa vie fut le jour où il apprit la signification de son prénom. Dans une discussion banale, son paternel lui expliqua comment et pourquoi Naange. « Soleil » et « règne ». Dans un coin de sa tête, il ressortait ses vieux schémas.
« Famille : un père, un fils parti, une fille morte, un fils triste.
Respect : un père criminel, une guerre, une fille morte, un fils révolté, un fils triste. »
Ces schémas le déprimaient, d’autant plus que les mots « mort » et « triste » revenait plus souvent. Dans l’idée de son prénom se trouvait l’idée du « règne ». Sa pensée, d’abord utopiste et gentillette se radicalisa. Comme tout principe bien en théorie mais mal appliqué, on retrouvait la doctrine de Naange : le bonheur à tout prix. Sa pensée, basée sur une idée d’euphorie, excluait tout le malheur du monde. Les morts n’existaient pas, un chat était immortel, personne ne tuait qui que ce soit, la maladie n’était que passagère et la tristesse n’était qu’un nuage décoloré. Cette vision s’étala dans sa tête, envahissant chaque de ses pensées. Bientôt, on s’inquiétait pour le petit Naange, 19 lunes, qui entonnait joyeusement que tout sentiment négatif était une ordure dans le cœur de la tribu. On se foutait de lui quand il déclamait haut et fort que la guerre était néfaste. Allez faire entendre des discours pour le bien de l’humanité dans une tribu sans cœur. Aveugle face à tout ce petit monde, Naange continuait, ne se souciant pas du regard blasé de son père, de l’absence cruelle de son frère, de la mort subite de sa sœur. Pour oublier tous ses soucis, il se confortait dans sa pensée unique, où chaque baisse d’humeur le terrorisait. Il devenait émotif, perdait les pédales, et dans cette tribu de sanguinaires et de déglingués, très vite, Naange était l’un des leurs. A sa manière.