Hommage

J'habite à Paris, dans le XVe arrondissement, et j'ai passé la journée à dire que le vendredi 13, c'est de la merde, parce que je suis tombée dans les escaliers de l'immeuble et que je me suis mangé un zéro. Hier soir, en rentrant chez moi à une heure et demie du matin, quand ma mère m'a dit au téléphone "au final, ton zéro, j'aurais préféré que t'en ai quinze et qu'il y ai pas eu ce drame ce soir", j'étais la première à approuver.
On appris ça une demi-heure après la première fusillade, qui a commencé vers 21h30, j'étais avec une pote en train de nous préparer pour une soirée avec le BDE de mon école, et ma meilleure amie m'a envoyé un message en me prévenant. Quand j'ai commencé à regarder les nouvelles, et que j'ai vu qu'une fusillade avait lieu au Bataclan, j'ai rarement eu aussi peur, un de mes amis habite dans cette rue, mais dieu merci il était dans le train en retour vers la province. Toute la soirée, sur la péniche-discothèque, on a vu les sirènes et les lumières passer, on savait pas trop comment rentrer, on a réussi à choper un Uber, mais même le conducteur faisait pas le fier, il nous a dit qu'après notre course, il rentrait direct regarder Toy's Story pour se changer les idées.
Au final, plus de peur que de mal : tous mes amis vont bien, tout le monde a répondu à mes messages, à mes appels, tout le monde est en vie, en bonne santé, et personne n'a encore eu de drame à déplorer - croisons les doigts pour que tout se passe bien.

Le plus gros coup, ça a été indéniablement hier quand je me suis retrouvée seule dans mon appart, en train de parler avec mon ex, qui ne m'avait pas donné de nouvelles depuis un mois, et qui a passé la soirée à me parler. D'habitude, quand il se passe ce genre d'horreur, je m'inquiète pour les autres, je prends des nouvelles, je panique ; ce soir, c'était aussi pour moi qu'on s'inquiétait, c'est ma mère qui a paniqué toute la soirée, c'est tous mes amis qui m'ont appelée ou textotée pour savoir où j'étais, c'est ma grand-mère qui a appelé ma maman aux aurores ce matin, c'est une amie de ma mère qui l'a appelée aussi, c'est, en regardant les vidéos de l'évacuation ce matin, le moment où j'ai réalisé que ça aurait pu être Louis, ou Blanche, ou Adrien, ou même moi, que ça aurait pu être n'importe qui, et que plus que jamais on a été chanceux, plus que jamais notre bonne étoile a veillé sur nous. Et ce vendredi 13, salaud, enfant de pute, bâtard, trainée, enflure, ce vendredi 13 maudit, c'est aussi le séisme magnitude 7,5 qui a frappé le Japon, c'est les bombes à Beyrouth et à Bagdad, qui ont fait certes moins de morts, mais qui ont été assassines elles-aussi.
Mais c'est aussi ce matin sur les réseaux sociaux la déferlante de soutient international, les hommages venus de tous horizons pour Paris et ses 128 morts actuels, c'est les hôpitaux dont les stocks de sang ont déjà été remplis par tous les dons, c'est le magnifique #PorteOuverte, le hashtag qui a permis à je ne sais combien de gens effrayés de dormir sous le toit d'un parfait mais hospitalier inconnu cette nuit, c'est l'Empire State Building, l'Opéra de Sydney, le Christ Rédempteur illuminés en bleu, blanc, rouge, c'est le logo de Tumblr et les photos de profil Facebook aux couleurs de notre pays qui a trop saigné cette année-ci.
Malheureusement, c'est aussi les larmes, tout le temps, à cause de la nervosité qui redescend, de la peur, et aussi du choc, c'est les 128 morts actuels et ceux à venir les prochains jours, c'est ce soir le besoin de serrer mes amis dans mes bras quand je vais arriver chez eux, pour me rassurer, pour savoir qu'ils sont là, et parce qu'on a besoin de ce contact rassurant, c'est la barbarie qui s'est encore, encore acharnée sur Paris et sur la culture, mais cette fois en tirant au hasard sur la masse innocente du public, c'est les sirènes des ambulances qui reviennent déchirer le coeur régulièrement, et les voitures de police qui tournent dans les rues. Ce sera malheureusement les récupérations politiques et les amalgames, c'est la peur, lundi, de revenir à l'ENSAAMA et qu'il manque un prof, un élève, un membre du personnel, quelqu'un. C'est l'horreur de Paris silencieuse, mais Paris, même quand tu pleures, mais quand tu saignes, Paris tu sais je t'aime.

Rappelez vous l'esprit du 11 janvier, rappelez vous de la magnifique puissance de cohésion et de révolte dont le peuple français est capable de faire preuve, et puis rappelez vous de dire aux vôtres que vous les aimez.
Enfin, rappelez vous que, comme on le lit si bien partout sur Twitter, lorsque Paris éteint ses lumières en signe de deuil, le reste du monde allume les siennes pour l'éclairer.